Mon histoire commence au temps béni de l'ignorance. Au temps où les humains ne connaissent pas l'existence des  démons, créatures obscures et chasseurs d'ombres. Mes parents sont de simples gens de la classe moyenne, travaillant le jour, s'aimant la nuit. Ils se sont rencontrés à la bibliothèque d'un simple petit quartier de Chicago. Je suis née quatre ans plus tard. Je grandis heureuse et aimée, comme n'importe quel enfant à jouer dans la rue, jusqu'au jour où la vérité éclate. Tous les mythes sont réels. Le côté obscure de notre planète se révèle aux yeux de tous, créant de la peur et de la paranoïa chez bien des parents de jeunes enfants. L'étranger croisé dans la rue, l'épicier du quartier, même son propre voisin. Sont-ils des loups-garous ? Des vampires ? Des démons déguisés ? Plus questions de me laisser jouer dehors. Mes parents, ayant peur pour ma sécurité, m'enferment dans la maison. Je ne sors qu'avec un de mes parents, voir les deux. Je ne peux plus jouer à l'extérieur, plus rencontrer de nouvelles personnes. J'en suis très triste. Pourquoi le monde a changé du jour au lendemain ? Pourquoi, hier, je pouvais jouer avec mes amis, aller voir la vieille dame au parc pour lancer, avec  elle, des miettes de pains aux pigeons, mais que, aujourd'hui, je ne peux même pas mettre un pied dehors sans ressentir les yeux pesants et inquiets de mes parents sur moi ? Je suis trop jeune pour comprendre et ça me fâche.

Plus le temps passe et plus je m'ennuie.  Une énorme lassitude s'abat sur moi. Je deviens amorphe, léthargique, moi qui bougeait tout le temps. J'ai perdu tout intérêt. À quoi bon, si je reste enfermée ? Je me sens comme un oiseau en cage et je n'aime pas ça. Je suis un oiseau en cage, et je ne sais même pas chanter. « J'aimerais apprendre à jouer de la musique. » Bien trop heureux de me voir exprimer de l'intérêt pour quelque chose, mes parents ont laissé entrer quelqu'un dans la maison, non sans avoir scrupuleusement vérifié l'historique de cette personne. Un professeur de piano. J'aime le piano. C'est relaxant et intéressant. Je prends rapidement goût à la musique. Je suis douée. J'apprends rapidement, car je n'ai rien d'autre à faire que de pratiquer.

À l'adolescence, le piano n'est plus suffisant. Plus le temps passe, plus l'envie de bouger, de me défouler, me prend, m'étreint et m'étouffe. Je commence à sortir en cachette. Je deviens rapidement maître dans l'art de faire le mur. Je me trouve des amis, enfin. Ils peuvent bien être n'importe quoi, vampires, sorciers, poulets. Je m'en fiche. Ils sont mes amis. J'apprends tardivement à sociabiliser, mais c'est comme si je n'avais jamais été enfermé. J'adore ça. Je sors de mon cocon. Je sors de ma bulle. Sur le tard, j'apprends à connaître le monde. Un de mes amis m'apprend à jouer de la batterie. C'est extatique. C'est libérateur et je suis encore plus douée à la batterie qu'au piano.  Je ne dors plus beaucoup. La moitié de mes nuits, je les passe avec ma bande. On joue de la musique. On fume. On boit. On discute. On réinvente le monde. C'est avec eux que j'apprends ce qui se passe réellement, le véritable conflit qui oppose les chasseurs d'ombre aux créatures obscures et la place des humains dans tout ça. Je leur dois tellement. Je découvre que je crains plus mes parents que les créatures obscures. Les vampires, sorciers, fées et loup-garous sont libres, eux. Ils n'enferment pas les gens. Ils peuvent les tuer, oui. Mais les humains aussi tuent. Pourquoi les craindre plus que nous-même ?

J'ai vingt-et-un ans. Enfin, je suis majeure. Avec mes amis, on va célébrer ça en grand. Le matin de mon anniversaire, sans même prendre la peine de me cacher ou de raconter une excuse à mes parents, je quitte la maison avec mon sac sur le dos et mes écouteurs sur la tête. J'ai laissé une lettre qui explique ou je vais. Lorsqu'ils l'auront trouvé, je serai déjà loin. Je rejoins ma bande à l'aéroport. On organise ce voyage depuis deux ans. Je suis la dernière à atteindre la majorité. Il ne manquait que moi pour ce voyage. Maintenant, je suis là. Un tour de l'Europe, puis de l'Asie et, pour finir, de l'Amérique du Sud. Rien en poche si ce n'est nos espoirs d'un monde meilleur et nos rêves les plus fous. Les premiers mois se passent à merveille. On visite l'Espagne et la France. On monte vers l'Angleterre, l'Irlande, l'Écosse puis on redescend vers la Belgique. On continue vers les Pays-Bas, l'Allemagne, l'Autriche puis la Suisse. Dans chacun de ses pays, je m'imprègne de la langue, de la culture et de la musique locale. Je m'en enivre jusqu'à plus soif. Je rencontre un nombre incalculable de gens que j'apprends à connaître, autant des humains que des êtres surnaturels. Ils ne sont pas tous méchants. Je partage le lit de tous ceux qui me plaisent et à qui je plais en retour. Ce sont les plus beaux mois de ma vie.

Lorsque nous arrivons en Italie, je ne sais pas encore que mon voyage va se terminer ici. Tout se passe merveilleusement bien jusqu'à ce qu'on se rapproche de Rome. On passe la nuit dans une banlieue. Le lendemain, on va visiter la capitale. Nous avons élu domicile dans une petite auberge de jeunesse. Il fait déjà nuit lorsqu'on finit de s'installer. Avec une compagne, on sort dehors pour fumer une cigarette. Il n'y a plus beaucoup d'endroit où l'on peut encore fumer à l'intérieur. Ensemble, nous profitons de notre cancer en bâton lorsqu'on entend un drôle de bruit. Une sorte de grognement. Inquiète, mon amie décide de rentrer sans terminer sa cigarette. Je prends le temps de terminer la mienne. Je ne la finirai jamais. Douleur. Sang. Trou noir.

Lorsque je me réveille, j'ai mal et je en sais pas où je suis. Du sang tâche mes vêtements et des inconnus me regardent avec intérêt. Ces inconnus deviendront ma nouvelle famille. Des membres de ma nouvelle meute. Je suis un loup-garou. J'ai survécu à l'attaque d'une créature obscure. Je suis devenue ce que mes parents craignent tant. L'adaptation est difficile. J'apprends à vivre avec mes nouvelles capacités. J'apprends l'italien. J'apprends à vivre dans un pays que je ne connais pas, car je ne peux plus le quitter. Ma vie est ici maintenant. Avec la meute. Je leur dois beaucoup. Sans la meute, je serais perdue.