La pluie tombe à flot et je commence sérieusement à regrette de bosser aussi tard au restaurant. Je sais qu'il faut que j’y aille, qu'il y a besoin des deux salaires pour qu'on puisse vivre correctement—et qu’on puisse payer les factures à temps, aussi- et puis j’aime beaucoup Rosa, rien que pour le fait qu’elle ait accepté de me faire confiance, mais… pffff. Rien que sortir du restau et être trempé en même pas cinq minutes c'est déprimant. En plus j'ai croisé l'autre abruti d'humain dans la journée et- bien entendu—on s’est balancé des piques à la tronche et- bien entendu—on s’est engueulé et… eh bien, Rosa est passée par là donc on a dû fermer notre bouche sous peine de mourir dans d’atroces souffrances. Oui, elle est comme ça.

En bref, ce fut une journée magnifique. Ou pas. Même si j’avoue, j’aime bien m’engueuler avec lui, c’est au premier qui pètera les plombs, ça entretient mon tempérament de je fonce dans le tas, je réfléchis après et ça me force à me contrôler mieux, histoire de pas lui sauter à la gorge tout croc sorti.



Secouant la tête pour sortir de ma rêverie, je m’engage finalement sur le chemin de la maison, profitant des rues désertées pour cause de trombes d’eau. Un jour j’investirais dans une capuche, ça évitera peut-être à la flotte de glisser jusque dans mon dos. Brrr.

Rêveur, j’examine les rares passants qui se sont aventurés dehors, m’amusant à chercher s’ils sont humains ou non. Ça reste mon jeu favori, peu importe que certains trouvent que ça n’est pas très poli, non mais. La pluie qui tombe renforce et mélange un peu toutes les odeurs entre elles, alors il faut se concentrer pour trier tout ça et ça me prend une bonne partie de ma concentration, faisant passer le trajet nettement plus vite qu’en temps normal.

C’est une fois arrivé dans mon quartier que quelque chose m’interpelle comme une… familiarité. Mon pas se ralenti de lui-même et je lève un peu le nez, exposant clairement ce que je suis en train de faire sans que ça m’importe plus que ça. Les odeurs sont vraiment mélangées et c’est dur de repérer quoique ce soit de certain. Mais je suis presque sûr que je n’ai pas rêvé, je sais que j’ai bien repéré quelque chose, quelque chose qui a réveillé des souvenirs en moi, quelque chose de particulier. Une odeur qui… s’est incrustée dans ma tête, que j’ai enregistré, sûrement une odeur qui m’a marqué pour une raison précise. Grognant d’agacement, je ralentis un peu plus, m’arrêtant presque sur place alors que mon regard scanne la rue déserte.

Ma part sauvage—plus que l’humaine en tout cas- se hérisse à l’intérieur de moi, frustrée de ne rien trouver. C'est à ce moment que je la sens à nouveau. Cette odeur, fraîche, déposée là il y a peu. Et comme en écho à cette odeur, une douleur fantôme me traverse l’abdomen, me forçant à poser ma main dessus en une pression presque douloureuse. Sous ma veste, je sais pertinemment ce qu’il y a à cet endroit. La peau marquée d’une cicatrice qui reste visible, pas très discrète et qui fut, pendant un moment, traversée par un large éclat de verre. Cette odeur… sans réfléchir plus longtemps, je la traque. J’ai besoin de savoir qui est ce qu’il y a derrière. J’ai besoin de mettre un nom dessus. Un flash de cheveux roux me vient, des mains qui m’agrippent, beaucoup de bruit, la douleur, une voix féminine et son odeur qui s’incruste dans mes narines, souvenir permanent de cet événement. il faut que je la vois, que je la trouve… c'est presqu’instinctif maintenant, mes yeux virant à l’ambre alors que je suis la piste comme je traquerais une proie. Je quitte la rue principale pour m’engager dans une des rues qui la traverse, plus déserte encore que la précédente. La pluie tombe toujours en trombe et le bruit de mes pas- que j’essaie de réduire malgré tout—disparaît sous celui des gouttes de pluies qui frappent le bitume.

Et je la vois. Silhouette menue qui semble se diriger vers un bâtiment en particulier. Sans y penser j’accélère le pas, mes yeux lupins braqués sur elle. Les souvenirs qui ont peuplé mes cauchemars pendant un moment-parfois encore maintenant, me faisant me réveiller en sursaut, l’angoisse au ventre—reviennent pleinement et j’arrive dans son dos comme un prédateur sans m’en être rendu compte, une de mes mains agrippant son épaule et la retournant sans prendre le temps de signaler ma présence. Mon regard sauvage s’écarquille doucement alors que je remets enfin un visage sur cette personne, cette femme que j’ai protégée quand tout est partie en vrille à cette soirée. Bordel. Je recule d’un pas- lui rendant son espace vital- et la dévisage. Elle est restée avec moi alors que j’étais blessé, que je me vidais de mon sang et que mon loup hurlait pour sortir et se défendre. J’ai souvent pensé à elle, en réalité, sans connaître son nom, sans être plus vraiment certain de son apparence, je me suis demandé si elle s’en était sortie, dans quel état. Je l’ai protégé une fois, elle m’a aidé instinctivement j’avais besoin de savoir.  « C’était toi. T’es la fille que j’ai protégée, n’est-ce pas ? Ce jour-là, l’explosion… » mes paroles sont rendues confuses par la surprise et un certain choc malgré la traque et le reste, comme si je m’attendais pas à ce que ça soit vraiment elle. Mais maintenant qu’elle est là, je continue de la dévisager, inconscient et ignorant royalement l'état dans lequel mon intrusion brutale a pu la mettre, sachant qu’on est dans une rue déserte, sous la pluie et que mon regard rappelle plus la bête que l’humain.