L'inconvénient avec l'été, c'est que le soleil s'attarde plus longtemps dans le ciel. Illuminent encore et encore l'horizon de couleurs rosâtres. Il fut un temps bien lointain où la viking aimait contempler ces couchers de soleil sans fin. Mais trente-cinq années ne sont plus rien face aux six siècles qui ont suivi. Et ces derniers passés loin des rayons solaires lui ont fait petit à petit oublier le plaisir des journées sans fin. Installée dans l'obscurité de son bureau à la Brigade Nocturne elle rumine Idunn. D'un geste nerveux elle entortille une mèche blonde autour de son doigt de porcelaine. Cela fait trop longtemps qu'elle passe ses jours et des nuits enfermées. Elle a besoin de sortir. De prendre l'air. S'aérer l'esprit et le corps. Croiser du monde, autre que ses collègues ou ses patients de l'hôpital. Alors elle s'est elle-même assignée à une mission de surveillance en extérieur au cirque. Mais les ombres salvatrices de la nuit se font attendre...D’un geste brusque mains non moins fluide elle se lève de sa chaise et ouvre son frigo personnel dans un même élan. Ses doigts effleurent les poches vermillon avant d’en choisir une dans la pile des O positif. Quitte à aller se mêler à la foule, autant le faire le ventre plein, et s’offrir un petit régal par-dessus tout. Car de tous les groupes sanguins, il s’agit bien de là son préféré. Moins facile à obtenir car moins fréquents chez les humains, mais appréciable dans les moments comme celui-ci.
Ses lèvres sont encore humides de son repas lorsque la petite horloge de son bureau émet le claquement caractéristique annonciateur d’un crépuscule suffisamment avancé pour qu’elle puisse sortir sans danger. Aussitôt son âme s’envole et d’un geste empressé elle pose son verre encore chaud sur l’étagère la plus proche et s’empresse de rejoindre son équipe dans les étages inférieurs. Elle est la première à arriver à la salle d’arme, bien qu’elle-même ne se sépare presque jamais d’un petit coutelas – son épée viking convenant moyennement à l’époque et encore moins à ses besoins de discrétion – qu’elle porte rangé dans un fourreau de cuir. Mais c’est là que son équipe s’est donné rendez-vous, au vu de la foule qu’ils s’apprêtent à surveiller, mieux vaux prévoir un peu d’acier. Avec les chaleurs de l’été les Rebelles sortent plus souvent et ces derniers temps les tensions avec le clan Lombardie atteignent un pic qui ne présage rien de bon.
« Tout le monde a bien mangé ? » Le responsable de l’excursion de ce soir tente un semblant d’humour alors que les cinq vampires de l’escouade se rassemblent autour de la figure sérieuse, bien qu’enjouée, d’Idunn. Si il n’est pas rare de la voir sur le terrain avec les autres, la participation de la vampire est souvent source de stress pour certains. Echouer une mission en présence de la leader de leur race ne serait pas un dénouement très agréable. Ils hochent tous la tête, d’un air grave tout en s’équipant le plus légèrement possible.
« Bien, Ismir et Lina vous serrez nos sentinelles en hauteur. Nous on reste au sol, prêt du zoo. Des rumeurs circulent comme quoi un animal aurait été retrouvé salement amoché la nuit dernière. Un loup, un vampire, ou en tentative de faire accuser l’un ou l’autre. » Les regards sont sombres, Idunn particulièrement. L’affaire d’Hadrian ne cesse de tourner en boucle dans sa tête. Il y est des gens qui cherchent à discréditer les vampires et sans doute plus largement les créatures obscures, en leur tendant des pièges. Rien de tout cela ne sent très bon. Secrètement, l’ancienne viking soupçonne le Consul d’être derrière tout ça. A moins que ce ne soit les Lombardie eux-mêmes. Capables de poignarder dans le dos ceux de leurs propres races.
« Idunn, vous irez avec Fellinni si cela vous convient ? » Un sourire délicat vient effleurer les lèvres de la concernée alors qu’elle réajuste la position de son coutelas dans la poche de sa jupe longue.
« C’est parfait Thibault. On sera dans le périmètre ouest vers la section « arctique » comme convenu. » Elle croise le jeune regard du vampire novice qu’on lui a attitré. C’est elle qui a demandé à être son binôme ce soir. Non pas qu’elle songe les autres plus compétents qu’elle – peut-être un peu, mais l’expérience joue – que parce qu’elle sait qu’il a émit quelques doutes l’autre jour sur le clan d’Adis dont ils font tous les deux partis. Et elle aimerait bien lui dire deux mots en particulier. Une occasion rêvée.
Lorsqu’ils arrêtent leurs courses, ils se glissent facilement dans la foule encore dense malgré l’obscurité grandissante. De nombreuses lumières multicolores repoussent les ombres, illuminant chemins et stands en tout genre. Elle vient à peine de laisser Fellinni à quelques mètres d’elle lorsque son regard tombe sur une silhouette qu’elle ne connait que trop bien. Elle n’a pas le temps de changer de direction Idunn. L’homme qui fait visiblement la queue pour une glace a croisé son regard au même instant. Un frisson gelé vient parcourir l’échine de la vampire, elle s’attendait à beaucoup de choses ce soir, mais pas à croiser un ami dont elle n’a pas eu de nouvelles depuis les drames du Conclave. Depuis qu’elle sait qu’il a participé d’une manière où d’une autre à l’assassinat des candidats à la papotée. Une fraction de seconde elle hésite, s’emparant de l’effet de surprise réciproque pour chercher en elle qu’elle attitude adopter. Finalement, non sans un élan d’hésitation, elle lui lance un regard dur et froid chargé de tous les reproches et la tristesse dont elle se sait gorgée à son sujet.
« Rhoan. Je constate que tu es toujours en vie. J’imagine donc que mes appels restés sans suite étaient bien ce qu’ils étaient. Une volonté de couper les ponts. » Peut-être aurait-elle mieux fait de sourire, de parer son visage de mille douceurs affables. Mais elle ne veut pas lui mentir. Pas à lui. Il mérite bien mieux que cela, du moins elle veut encore y croire. Alors Idunn elle se montre franche et directe envers lui. Elle a souffert de son silence, de cette cassure soudaine. Car au-delà des actions dont il s’est fait le complice, ils étaient amis. Proches. Et elle avait espéré après le drame, qu’ils auraient pu avoir l’occasion d’en discuter. Au moins. Mais elle n’avait que silence. Tristesse et déception.
© Artchie