Quand je quitte l’amphi’ dans lequel j’ai passé les dernières heures à suivre le cours d’un œil tandis que l’autre était rivé sur mon téléphone à échanger paresseusement quelques messages avec Jules, principalement, je fronce le nez. Il fait déjà noir et – pire – bien trop humide pour mon propre bien. Je rajuste la bandoulière de mon sac et m’enserre dans mes vêtements comme s’il faisait -15 dehors. Mais non, on est pas dans le nord de la France ici, on est à Rome et il doit faire à peine moins de huit degrés, mais c’est bien trop froid pour mon bien. J’suis un frileux moi, monsieur !
Grommelant, je salue à peine mes camarades – ceux que j’aime bien en tout cas – et file tout droit à mon arrêt de bus. La morosité du temps déteint beaucoup trop sur mon caractère et ça me retire l’envie de faire quoique ce soit d’autres que rentrer à la maison pour me rouler en boule dans l’endroit le plus chaud que je pourrais trouver. J’aurais plein de choses à faire, pourtant. J’ai sans doute une liste longue comme le bras de trucs à faire, même. La vision de divers papiers récoltés depuis des mois, de carnets gribouillés par mes soins sur tout ce que j’ai pu récolter au fil du temps sur l’assassinat de ma mère, tout ça s’impose à mon esprit… mais je ferme brièvement les yeux, secouant la tête pour les chasser de là. Plus tard, mon humeur est suffisamment au ras des pâquerettes pour que j’ai pas envie d’aggraver les choses… Comme quoi je peux être raisonnable. Parfois.

Le trajet se passe sans que je m’en rende compte, bercé par les cahotements du bus, et je sors de ma torpeur suffisamment tôt pour ne pas rater mon arrêt. A peine ais-je mis un pied sur le trottoir que la pluie commence à tomber et je me retiens de couiner de désespoir. Magnifique, il ne manquait plus que ça, à quel point mon karma est pourri exactement ? Allez Kal’, c’est pas si grave, ça pourrait être pire, tu pourrais tomber sur un mec louche dans un coin sombre et dieu sait c’qui pourrait arriver… Je tente vaguement de me rassurer en me dépêchant d’avancer. Cette pensée me fait tiquer une brève seconde et j’accélère immédiatement mon pas. Non parce que si mon karma à vraiment envie de me faire chier, j’vais vraiment tomber sur une merde comme ça en fait ! C’est pas comme si j’y étais pas habitué, à force de trainer dans des endroits soi-disant louche… Bon, ils sont sans doutes louches, c’est moi qui les considère comme parfaitement normaux maiiiiis, chut. C’que je ne veux pas voir me fait pas d’mal. Ou quelque chose comme ça.
Je me précipite dans l’entrée du vieil immeuble où j’habite avec Nei’ et m’ébroue ; Quoi ?!; mes mèches rousses dégoulinant à moitié sur mon front, un frisson me traversant dans le même temps. C’est quoi ce pays, sérieux ? Sifflant dans ma barbe inexistante, je grimpe les marches quatre à quatre jusqu’à arriver au dernier étage où j’ouvre la porte de notre appart’, m’engouffrant à l’intérieur et poussant un cri de joie qui doit se répercuter dans tout l’appart. Home sweet home ! « J’suis rentréééééée ! » Je largue négligemment mon sac dans l’entrée, virant mes chaussures trempées approximativement dans le même coin alors que j’avance un peu plus à l’intérieur. Si j’me trompe pas, Neiza bossait pas ce soir. Je jette un vague coup d’œil sur la table du salon où repose – comme si c’était sa place depuis toujours – un récipient dont le contenu bouillonne doucement. Je lève les yeux au ciel en râlant, « Nei’, t’es sérieuse tu laisse encore un de tes trucs sans surveillance ? » Je fixe le truc d’un air hautement suspicieux alors que je me jette sur le canapé encombré, « Je te préviens si ça explose, tu te démerde avec le proprio ! » J’ai à peine fini ma phrase que, dans un clac retentissant et un peu flippant, toutes les lumières s’éteignent.
Un lourd silence s’étend et je me recroqueville un peu dans le canapé. C’est quoi ce bordel, pourquoi y a plus de lumières ? Mon côté parano qui s’est beaucoup trop développé depuis qu’on habite cette foutu ville me fait imaginer directement des dizaines et des dizaines de situations toutes plus flippantes les unes que les autres et qui impliquent généralement notre fin dans d’atroces souffrances. Fuck. J’ai pas envie de mourir assassiné par une créature surgit de nulle part. Ou pire, par la potion de Nei qui me semble de plus en plus louche, maintenant qu’elle est dans le noir. « …Neiza… ? » J’appelle d’un ton que je nierais toute ma vie être un peu effrayé.

Mon corps s'est tendu automatiquement lorsque les lumières se sont subitement éteintes, comme dans l'attente d'une attaque quelconque, comme si je m'attendais à ce que, forcément, ça soit le signe que quelque chose va nous tomber dessus, brutalement. J'imagine dix milles scénario. Dix milles possibilités et aucunes n'est réjouissantes. A croire que tout ce qu'on a déjà pu vivre ici m'a... Disons programmé. Et rendu clairement parano, il faut l'avouer, je deviens suspicieux pour tout et n'importe quoi. J'inspire profondément pour me calmer, tentant de m'obliger à détendre mes muscles et tout le reste. Et seulement quelques secondes plus tard, alors que ça semblait porter ses fruits et que je commence à me raisonner un minimum, me disant que finalement c'est pas si grave ce qui vient de se produire, j'entends un bruit sourd venant de quelque part dans l'appartement et, forcément, je sursaute violemment. Et forcément mon corps entier se retend à nouveau et mon esprit galope, libéré des contraintes de la raison. Fuck. Retenant un grognement un peu inquiet ; juste un peu hein; j'appelle le prénom de ma sœur parce qu'après tout elle s'est toujours pas manifestée, et c'est bizarre non ? Peut être que c'est à elle qu'il est arrivé quelque chose, peut-être même que ça lui est arrivé avant même que j'arrive et moi, frère indigne, j'ai même pas pris le temps de vérifier, de la voir en chaire et en os. De m'assurer que tout va bien - mais en même temps, on est chez nous, qu'est ce que j'vais devenir si je dois flipper pour elle même chez nous ? Je le fais déjà beaucoup trop quand elle est dehors, merde ! Et oui, je sais que je suis beaucoup trop protecteur, pas besoin qu'on me le fasse remarquer.

Secouant la tête pour atterrir je me redresse légèrement, plissant le regard en tentant de percer l'obscurité. Ça porte ses fruits sans que j'arrive pour autant à trouver ma sorcière de sœur, parvenant simplement à mieux voir le bordel autour de moi. « Bouh. »« Putain de... » Je jure, refusant de croire que j'ai pu ne serait-ce que couiner de peur avec ses conneries. C'est faux, je n'ai pas eu peur, je suis chez moi, en sécurité, tout va bien, j'ai pas eu la trouille... Bordel. Ma main part à l'aveugle pour tenter de la frapper mais je ne fais que l'effleurer alors qu'elle reste plantée derrière moi comme la sadique qu'elle est. « Espèce de soeur indigne !» je râle, son ricanement m'arrachant une moue boudeuse. Un éclat de lumière capte mon regard et j'observe avec une admiration non feinte la bougie s'allumer toute seule. Limite, ça me fait oublier direct ce qu'elle vient de faire. En tant que grand fan de ma sœur aînée, je laisse échapper un sifflement admiratif alors qu'elle reprend,  « C'était quoi ça? T'as touché à quelque chose ? » Immédiatement, je me redresse, me tournant vers elle avec une mine offusquée,  « Hey mais rien, j'ai touché à rien, j'ai rien fais ! Enfin je crois... » J'ai rien fais non ? Sérieux j'me suis juste assis sur le canapé on va pas dire que c'est encore ma faute ! Je sais que je fais pas mal de connerie mais j'ai encore jamais fait sauter le courant par la seule force de mon esprit. J'attire pas les ennuis à ce point, quand même. N'est ce pas...? Non mais, non. Je lui adresse un regard boudeur alors qu'elle se laisse tomber à côté de moi, « Je te rassure, ce truc n'explosera pas... » Un reniflement dubitatif s'échappe simplement de moi, mes yeux se fixant avec suspicions sur le récipient contenant... Je sais même pas ce que c'est exactement que ce truc, au juste. Ça semble juste pas du tout safe. Et puis, simplement éclairé par la bougie je trouve qu'il émet des reflets particulièrement flippant. Surtout entouré comme il est du bordel de la table et -- oh, c'est pas la paire de chaussettes que je cherchais ce matin, juste à côté, d'ailleurs ? Oups.  « Sauf si je l'oublie quelques minutes de trop » c'est à mon tour de ricaner, croisant les bras sur mon torse en haussant un sourcil dubitatif. « Je me sens beaucoup plus rassuré, maintenant, c'est clair. » Surtout qu'avec le courant coupé... Enfin ça craint, mais j'y suis pour rien, donc, il y a quand même quelque chose qui ne va pas. Qui ne va pas du tout, même.
Mon cœur s'accélère alors que toute mon attention revient à nouveau sur ce qui devrait occuper mon esprit principalement ; merci les problèmes d'attention. Bordel. On a plus de courant. Et si ça se trouve un tueur psychopathe se balade actuellement dans l'appartement.  « Rassure moi, c'est bien toi qui a provoqué la coupure ? » Je me mords la lèvre et tourne les yeux vers elle, croisant son regard qui semble soudain beaucoup plus inquiet. Hésitant, je secoue négativement la tête. « J'te dis que j'ai rien fais. J'ai rien touché, j'étais sur le canapé, comment tu veux que je fasse ? J'suis pas sorcier moi.. - Hé !» Je lâche soudain, me redressant brutalement se le canapé. Je tends un doigt accusateur vers son visage, le regard plissé et suspicieux,  « C'est toi ! Avoue, tu fais ça pour me foutre la trouille, c'est ça ? T'as utilisé ta magie Et.... pouf !»J'accompagne le pouf d'un mouvement éloquent des mains,  « Avoue le, tu l'as fait exprès hein ?»Je suis sûr que c'est ça ! Elle a fait exprès de nous foutre dans le noir pour me faire peur... Même si, bien sûr, c'est ridicule comme plan, parce que j'ai absolument pas peur du noir, il ne me gêne même pas un peu. Nop. Pas du tout.