La soirée est bien avancée et j’ai déjà eu l’occasion d’observer des combats magnifiques, les participants étant tout plus différents les uns que les autres. Et c’est parfait, ça permet de voir tellement de techniques, de façon de bouger, de porter les coups, de parer… Je prends une profonde inspiration, mes pupilles se dilatant sous l’afflux d’informations – excitation, sueurs, sang, odeur propre aux créatures et humains présents, tellement de choses à identifier et qui, tous ensemble, deviennent presqu’enivrant quand on à l’odorat trop sensible. Surexcité moi-même – j’adore les combats, j’adore cette ambiance électrique et pourtant si parfaitement maitrisée – je navigue adroitement entre les différentes personnes présentes, saluant les habitués de la salle avec ma discrétion légendaire, engageant la conversation avec ceux venus spécialement pour l’évènement, cette soirée à thème ; et quel thème, franchement. Je savais que j’avais bien fait de passer le maximum de temps possible dans cette salle de sport de combat, il y a régulièrement ce genre de chose et même si je ne participe pas ce soir, c’est toujours passionnant à regarder.

D’un pas bondissant, je me pose à côté d’Alessandro, le gratifiant d’un salut bruyant qui lui fait lever les yeux au ciel, son fin sourire toujours un peu étrange aux lèvres. On engage une de nos habituelles conversation tout aussi bruyante – et pas qu’à cause de moi en plus – commentant ce qu’on a pu voir chacun de notre côté au fil de la soirée, « Tu ne regrette pas de ne pas apprendre l’épée, en voyant ça ? » Le regard pétillant, je le laisse se poser sur deux futurs combattants qui se jaugent du regard, dans l’attente du gong annonciateur du début du combat. « Si, complètement. » Je lâche à ce loup que j’ai appris à apprécier énormément au fil des semaines, depuis notre arrivée en ville. Fasciné, j’observe les différentes épées et sabres factices que chaque combattant possède ce soir. A vrai dire, j’avais beaucoup hésité à l’époque où je suis arrivé dans cette salle. Beaucoup hésité à apprendre quelque chose de nouveau… Mais j’étais tellement perturbé à l’époque – c’est à peine mieux maintenant mais je m’améliore – je n’avais pas besoin d’une discipline pour laquelle je n’étais pas sûre d’être fait. Dieu seul sait ce que la frustration de ne pas y arriver aurait pu provoquer chez moi, moi qui à l’époque pouvait perdre les pédales à la moindre contrariété. Alors j’étais resté sur ce que je connaissais, sur ce que mes parents m’avaient appris. Sur ce qui pouvait me permettre de me défendre et défendre ma sœur le plus rapidement possible, aussi. Le corps à corps, le combat de contact, celui qui me permettaient d’expulser toute la rage et la colère que j’avais à l’époque.
Mais je me sens mieux, maintenant. Ça n’est pas parfait et, parfois, je sens le regard inquiet de Neiza sur moi, comme si elle s’attendait à ce que je me transforme sans prévenir. Mais ça va mieux. Et je regrette de ne pas m’être lancé là-dedans. Trépignant sur place, j’agrippe soudain le bras de mon ami, sifflant entre mes dents « Ça va commencer ! » Et aussitôt dit, aussitôt lancé, le gong résonne, le combat commence et les deux adversaires s’élancent l’un sur l’autre. Les épées qui s’entrechoquent résonnent dans la salle en un bruit sourd qui attire les regards et le mien s’écarquille alors que j’essaie de suivre le plus de mouvements possibles, d’enregistrer ce que je vois, ce que je ressens à les voir se battre ainsi, aussi. C’est magnifique. La femme – je crois que c’est une vampire mais je ne me suis pas assez rapproché d’elle pour en être sûr – esquive un coup qui aurait brisé n’importe qui et elle attaque dans la foulée, se glissant sous la garde du loup – lui je le connais, je l’ai déjà vu ici – pour frapper. Les coups s’enchainent, les feintes se font plus vicieuses alors que les deux adversaires savent parfaitement le talent de l’autre. Mais plus le combat continue, plus ils prennent la mesure de l’autre combattant, s’adaptant sans cesse, frappant dans les angles qu’ils pensent mort, pour reculer aussi vite quand ils se voient parés. Chaque touche trouve un écho dans le coup d’après, c’est comme si personne ne pouvait prendre l’ascendant. Malgré tous leurs efforts, ils n’arrivent pas à dominer l’autres.
Et pourtant, je ressens aucune réelle frustration pas vraiment de colère, juste… Encore plus d’excitation. Encore plus de volonté de faire mieux, d’y arriver, comme si le mur qu’ils rencontraient après avoir vaincu tous les adversaires jusqu’à présent, comme si ce mur était simplement tout ce qu’ils attendaient ce soir. Je secoue la tête, un peu perdu, pas vraiment sur de comprendre – ça m’énerverait, je crois. Ne pas trouver la faille, ne pas réussir à prendre l’ascendant, ça me frustrerait, me mettrait en colère… Je fixe la vampire, fasciné par la volonté qu’elle met dans chaque mouvement, comme si elle connaissait son corps tellement par cœur qu’elle n’avait plus besoin de réfléchir à chacun de ses mouvements. Elle sait exactement l’espace qu’elle prend et celui qu’elle va envahir.

Lorsque le gong résonne, je sursaute vivement, surpris de n’avoir pas vu le temps passé et encore plus surpris de voir que le combat se fini sans qu’aucun vainqueur ne puisse être désigné. Le temps réglementaire est juste écoulé et c’est relativement rare dans ce genre d’évènement. Sifflant à voix basse, admiratif, je relâche le bras d’Aless’ ; qui va certainement avoir un bleu tellement je l’ai serré tout du long ; et commence à me faufiler vers l’endroit où je sais que se trouve les affaires de la vampire. C’est sans doute pas une bonne idée – comme me le dit mon ami dans mon dos mais je l’ignore royalement – parce que mes rencontres avec les membres de cette race ne se sont jamais très bien déroulées jusqu’à présente, mais tant pis. Je rode quelques courts instants aux alentours, jusqu’à ce que l’autre vampire parte enfin, et je m’approche finalement d’elle. Une brève inspiration me permet de confirmer qu’elle fait bel et bien parti du peuple des morts et je m’assois joyeusement sur mon passif regrettable avec cette race – ça n’est clairement pas de ma faute si tout ceux que j’ai rencontré jusque là sont du genre susceptible, vraiment. « C’était un magnifique combat ! » Je lâche avant d’entendre mentalement le souvenir de la voix de ma sœur qui me tance avec la politesse. Je grimace, vaguement désolé, et esquisse un ersatz de courbette, mon sourire éternellement insolent accroché aux lèvres. « Bonsoir, désolé. J’ai suivi tous vos combats ce soir, c’était vraiment impressionnant. » C’était vrai. J’aurais pu suivre ceux du loup, mais il vient régulièrement à la salle, je sais comment il se bat, et je sais que j’aurais l’occasion de l’observer à nouveau, alors que elle… Je ne l’ai jamais vu dans le coin. Je penche un peu la tête sur le côté et, l’intérêt à peine dissimulé dans ma voix, j’enchaine avec mon manque de subtilité et de savoir-vivre habituel, « Ça fait longtemps que vous manier cette arme ? » Les sous-entendus étaient multiples dans cette question, impliquant son âge et le métier qu’elle peut bien faire. Mais sincèrement, ses démonstrations et combats m’ont vraiment impressionné, elle est impressionnante, c’est juste une évidence. Et mon intérêt pour ce style de combat n’a fait que remonter à la surface, se gonflant à nouveau et titillant mes envies avec acharnement.