Novembre 2000. Quelques maisons forment un semblant de village, perdu au milieu de la campagne italienne.
- Maman ?
- Oui ?
Elle s'approcha de mon lit et s'y assit avec précaution. Sa main se posa doucement sur ma tête, avant d'ébouriffer lentement mes cheveux à force de les faire passer entre ses doigts fins.
- Les voisins ne crient pas ce soir ?
Son sourire doux s'élargit un peu, laissant remarquer son amusement.
- Ils ne crient pas mon chéri, ils chantent.
- Pourquoi ils hurlent à la lune en fait ?
- Ils ne chantent pas que pour la lune. Ils chantent pour ceux qu'ils aiment, pour ceux qui leur sont chers.
- Et papa aussi il chante ?
Son regard s'assombrit légèrement, avant de se tourner vers le sol. Un instant d'hésitation de sa part me fit attendre sa réponse.
- Même s'il est loin, je sais qu'il chante pour nous. Et tu le sais aussi.
- Et il reviendra ?
Un second silence prit place.
- Tu poses trop de questions Luca.
Elle étendit son bras pour éteindre la lumière et me caressa la joue en me souriant, même si l'on pouvait deviner une bribe de tristesse au bord de ses lèvres.
- Tu devrais dormir. Fais de beaux rêves.
- Bonne nuit maman.
En m'enfournant sous ma couverture, j'avais déjà oublié mes questions. Si elle me disait que j'en posais trop, c'est qu'elle avait raison. Elle a toujours eu raison.

Mars 2018, Rome.
Je ferme délicatement le tiroir de son bureau. Un coup d'oeil à ma montre et... Oh. Déjà trois heures du matin. Il est largement l'heure de partir. Je jette un coup d'oeil prudent derrière moi. Mon "hôte involontaire" dort toujours à poings fermés. Parfait. Me dirigeant vers la fenêtre, je fais attention à chacun de mes pas, on ne sait jamais. J'ouvre la fenêtre, suffisamment pour me faufiler, et la referme une fois sur le toit. J'inspecte la rue du haut de mon perchoir avant de descendre le long de la façade. Une fois en bas, je me permets de lâcher un soupir. Encore une fois, cette nuit a été un gâchis total. Tout en me dirigeant vers la route, je place une photo dans sa boîte aux lettres. Avec au dos de quoi me contacter, "juste au cas où vous le connaisseriez". Je sors mon briquet et un paquet de cigarettes de ma poche. Aucune information intéressante chez cette personne. Visiblement, je n'ai toujours pas fouillé chez le bon loup.
Tout en rentrant chez moi, je ne peux pas m'empêcher de penser à ma mère. Cela fait maintenant six bons mois qu'elle est morte, emportée par la Malattia della morte. Je chasse ces idées de mon esprit. Il ne faut pas que ce soit la seule chose que j'aie en tête. Restons plutôt concentrés sur mon objectif. Je cherche un loup-garou ayant vécu en campagne jusqu'en 1995 environ, avant de venir habiter ici, à Rome. Le seul autre indice que je possède sur lui, c'est cette photo que je copie et distribue à mes "victimes", sur laquelle nous apparaissons tous les trois. Lui, ma mère, et moi. À cette époque, j'étais encore trop petit pour me souvenir à quelle occasion elle avait été prise. C'est tout ce que j'ai pour le trouver... Mais je ne perds pas espoir. Il est probablement resté en ville, du moins je l'espère. Et il y connaît forcément du monde. Il va peut-être falloir que j'essaie de m'intéresser de plus près aux meutes par contre.
Je ne sais pas pourquoi je suis si déterminé à le retrouver, depuis la mort de mère. Peut-être parce que j'ai l'impression d'avoir des comptes à lui rendre. Nous avoir laissés comme ça. L'avoir abandonnée, elle, seule pour élever leur fils. J'ai besoin de savoir pourquoi. De savoir qui. C'est la seule chose qui me permet de tenir aujourd'hui. Et mes travaux nocturnes me donnent largement assez d'argent pour rester habiter en ville. Ce n'est plus qu'une question de temps maintenant. Tôt ou tard, je finirais par trouver l'identité de mon père.