Au début, il ne comprend pas. Ce n’est pourtant pas un simple enfant mais un Néphilim, alors on lui explique. Finalement, ça n’aura pas éclairci grand-chose. À sept ans, il est facile de s’adapter à un nouveau style de vie, mais plus difficile de comprendre pourquoi il faut le faire. Ils n’ont pas le choix, il y a une guerre, la seule qui compte. La seule qui doit se terminer au plus vite. Tout avait commencé il y a quelques années, lorsque ses parents dirigeaient encore l’institut de Rome et qu’il pouvait plus jouer que s’entraîner. Il avait quatre ans et aimait voir ses frères et sa sœur s’entraîner. Il aimait moins ne pas encore pouvoir se rendre avec eux à leur toute première mission. L’institut était leur maison et quand ils se sont parti pour Alicante, l’enfant n’a pas compris que c’était un adieu et non un au revoir. Mais déjà il savait que leur monde, celui qu’ils connaissaient tous, ne serait plus jamais le même.

Quand Alicante est tombé, il se souvient avoir eu peur. Qu’il déteste se souvenir de ça. Trop jeune pour être utile au combat, mais plus assez pour ne pas saisir la gravité de la situation. Tout comme bien d’autres chasseurs d’ombres, sa famille à fuit. Ils n’ont pas eu le choix. Quant à lui, la seule image qu’il lui est toujours restée de ce jour est celle de Néphilims mort au combat. Tant sont tombés, tant n’ont pas pu prendre la fuite. C’est là que sa famille s’est démarquée d’avantage avec celle des Grimaldi. S’imposant dans ce qui deviendra la rébellion. Et dès qu’il le pu, l’enfant s’entraîna. On lui a raconté ce qu’était les vestiges du passé et ce qu’était censé changer. Et plus d’une décennie plus tard, les chasseurs d’ombres n’ont pas vraiment eu grand succès.


« En quoi ces humains sont-ils si intéressants ?  » La voix de la jeune femme le tire de ses pensées et son regard se pose rapidement sur elle. La rousse s’avance vers lui d’un pas assuré et par habitude, il ressert sa prise sur son arbalète. Tous deux savent qu’elle ne risque rien en théorie, mais ça n’a que peu d’importance alors elle garde une certaine distance. « Et ne me dit pas que tu espères qu’ils se fassent attaquer pour pouvoir te battre. » C’est exactement ça, au mot près. Le De Santi hausse les épaules et enfuis ses mains dans ses poches. Il a bien le droit de faire ce qu’il lui plaît, surtout que ces temps-ci, détruire des créatures obscures est la seule chose qui lui procure un sentiment de joie. Ou du moins jusqu’à présent, il faut dire qu’il l’a évité comme la peste et le choléra depuis l’incident. Peut-être est-ce pour cette raison qu’il n’a pas envie de plaisanter comme ils avaient l’habitude de le faire. « Je ne m’attendais pas à ce que tu sois d’humeur aussi plaisante en venant ce soir. » C’est qu’elle avait toutes les raisons de ne pas venir ou tout de moins de se montrer plus hostile à son égard. Il ne lui en aurait pas voulu, après tout, c’est lui qui l’avait menacé. C’était loin d’être un de ses meilleurs moments, mais cela n’excuse en rien son comportement. La jeune femme parait confuse pendant quelques secondes et il en profite pour dire ce qu’il a à dire. « Je suis désolé. » Trois mots qu’il prononce que très rarement, ce n’est pas dans ses habitudes de regretter ses actes ou ses dires. Encore moins de s’en excuser à haute voix et en toute sincérité.

« Oh… Tu es désolé de m’avoir ignoré pendant des mois ou d’avoir menacé de me transpercer le cœur ? » Répond-elle en croisant les bras et en l’observant d’un air faussement hautain. Il l’a connaît que trop bien. C’est ce qui rend tout ceci tellement plus compliqué. « Les deux. Mais honnêtement, si je ne t’avais pas évité pendant des mois ça aurait été plus qu’une simple menace. Et je sais que ce n’est sans doute pas l’excuse à laquelle tu t’attendais mais c’est la seule que j’ai à t’offrir. » Ils ne se sont jamais raconté le moindre mensonge, jamais caché la moindre vérité. Peut-être est-ce la raison pour laquelle la rousse ne semble pas lui en vouloir. Peut-être est-ce aussi la raison pour laquelle il ne pouvait pas lui parler depuis qu’elle se soit fait transformer. Ils ont toujours été proches, se souciant peu de l’avis de leurs parents. Bien qu’en réalité ce soient bien ses parents à lui qui trouvaient à redire, après tout, la famille Toscane n’est pas digne de confiance. Peu importe qu’à l’époque ils aient bien choisit de se joindre à la rébellion, leur réputation les précédait. Lui-même porte facilement jugement, mais tout a toujours été différent quand il s’agissait d’elle. Tout l’est encore, sauf qu’aujourd’hui, elle fait partie du monde Obscur. « Si les rôles avaient été inversé j’aurais sans doute agit de la même façon. » Il l’a connu plus rancunière. Moins clémente envers ceux qui qui ne cachaient pas leur mépris pour les Toscane. Cependant, elle lui a bien trop manqué pour qu’il donne voix à cette pensée. « Je te pardonne donc à quelques conditions. » La voilà, la Néphilim qui n’a jamais laissé son nom de famille la définir. Tous deux s’en rendent compte au même moment et les sourires qu’ils s’échangent sont bien réels. Tout est différent aujourd’hui mais eux n’ont pas vraiment changé.


Un des leurs n’est pas rentré de mission. Il aimerait se souvenir d’un temps où une telle information n’était que rare et bien malheureuse. Sauf qu’aujourd’hui, il en a trop l’habitude. Il ne sait pas quand il a arrêté de croire que l'avenir serait plus prometteur. Si seulement il y a un jour cru. Comme beaucoup d’autres jeunes chasseurs d’ombres, il ne se souvient pas avoir connu autre chose que les sous-terrains du Colisée. La vie que ses parents menaient avant la révélation du monde obscure lui semble tout droit sortie d’un conte de fée. Et tous œuvrent à récupérer cette vie, ce droit qui leur est dû. Il y aura de nombreux sacrifices en chemin mais ça en vaut la peine. C’est ce qu’on lui a apprit, ce qu’il a retenu en voyant que trop d’amis mourir pour une cause qui se voit attaquée de toute part.

Mais quand il observe les visages fatigués de ses frères et sœurs d’armes, il ne sait pas si ça le vaut vraiment. Des familles entières ont été massacrées. Pire encore, au vue de ce qui est arrivé aux Toscane, les créatures obscures ne manquent vraisemblablement pas d’humour. Pourquoi diable tuer les Néphilims si ont peut les faire rejoindre le monde Obscur? Plutôt mourir que d'en être. Il n’est pas le seul à penser ainsi mais franchement, ce ne serait qu’une victoire de plus pour l’ennemi. Sans doute est-ce cela qui commence à peser sur son morale. Il ne s’est jamais fait d’illusions quant au prix à payer pour que les choses s’améliorent. Mais c’en est trop, son frère qui fût fait prisonnier, une de ses amies les plus proches qui devint ce qu’il déteste le plus au monde… À cette allure, que va-t-il donc rester de leurs rangs lorsqu’ils vaincront enfin leurs ennemis ? S’ils y arrivent un jour. Nolan espère encore mais le doute qui l’anime ne se dissipe pas, au contraire. Il est d’humeur maussade depuis bien des semaines maintenant et ça ne fait que s’aggraver. Et ce sentiment d’impuissance face à tous ces évènements l’agace, alimente la colère qui l’habite et ne laisse pas de place à grand-chose d’autre. La seule et unique utopie serait un monde ou toute créature obscure disparaisse à jamais.

Finalement, le monde n’en vaut peut-être pas la peine mais ce n’est pas à lui d’en juger. Il n’est qu’un soldat parmi tant d’autres, qui à sa part à jouer. Les humains méritent-ils leur sacrifice ? Vu que beaucoup d’entre eux ont jugé bon de les désigner comme les grands méchants dans cette histoire, non. Et bien que certaines créatures soient de leur côté, il n’en reste pas moins qu’elles n’ont rien en commun avec eux. Il ne peut que se battre au côté de son meilleur ami, son parabatai, pour un jour peut-être connaître une autre vie. Sa famille reprendra son dû tout comme les Néphilims reprendront le monde aux infâmes monstres qui le dirigent aujourd’hui. C’est une question de temps. Seulement une question de temps.