Alors que mon regard erre avec ennui sur les œuvres exposés, je sirote mon verre de champagne – le troisième déjà – en regrettant mon pari insensé. Quelle idée aussi d’avoir cru que je pouvais boire plus d’alcool qu’un vampire. Résultat, Nathan m’a forcé à faire « plaisir » à ma sœur en m’affichant en costume à un évènement mondain en ville. Pour le coup c’est tombé sur une exposition d’un artiste vampirique, mais ça aurait pu être l’anniversaire du chien de la conseillère fée, ça m’aurait fait le même effet. Heureusement pour lutter contre l’ennui, j’ai pensé à prendre deux armes – en plus de mes lames néphilim qui ne me quitte jamais, surtout après le coup de la fiesta au château qui a mal tournée. Premièrement, j’ai une flasque d’alcool fort, au cas où le champagne viendrait à manquer – peu probable, je sais, mais un homme averti en vaut deux. Deuxième, j’ai pris mes bras-droit avec moi. Parce que oui, quitte à m’emmerder, autant faire chier d’autres, et Artista et Falco sont parfaitement indiqué pour le rôle – ça et le fait que je risque de finir sérieusement alcoolisé d’ici la fin de la soirée, et qu’ils font partie des personnes sur qui je peux compter pour m’empêcher d’aller trop loin et protéger mes fesses en cas de problème. Bien sûr je ne suis pas complètement dénué de bon sens : je ne leur ai pas dit qu’ils sont là à la suite d’un pari perdu. Officiellement nous étions là pour raffermir nos liens professionnels en passant du temps ensemble en dehors du travail.

Un truc de synergie d’entreprise ou je ne sais quoi. Oui parce que les directeurs de divisions ont le droit à des formations pour apprendre à gérer leur équipe dans la joie et la bonne humeur – bon j’exagère, mais vraiment je ne vois pas l’intérêt de maintenir une ambiance fraternelle au sein de la brigade : on chasse et tue des gens, on fait pas des œuvres de charité. Je suppose que c’est pour donner un visage plus « humain » à l’organisation mais je trouve ça toujours aussi stupide. Comme si les gens allaient croire que nous étions des bisounours. Mais bon cette histoire me donne une bonne excuse pour ramener Joan et Weyland avec moi, alors autant en profiter. D’ailleurs à ce propos, je me tourne vers les deux autres, et je leur dis en désignant un tableau abstrait : « C’est très profond comme œuvre, vous ne trouvez pas ? On est comme happé parce ce qu’il s’en dégage. ». J’ai beau avoir essayé de me montrer le plus sérieux possible, je ne suis pas certain d’avoir totalement effacé le sarcasme dans ma voix. Puis mes deux subalternes me connaissent bien maintenant et il ne fait aucun doute à mes yeux qu’ils ont compris ce que j’en pense vraiment. Alors que je m’apprête à lancer une autre connerie du genre à propos d’un autre tableau – « Je ressens comme du désespoir dans celui-ci, ça vous donne envie de débattre contre la fatalité. » - quelque chose attire mon attention. L’air ondule, et en observant attentivement, je perçois comme une fine fumée dans les airs. Aussitôt je me mets en alerte. Trop d’années à combattre, à me méfier des autres, et de mauvaises expériences, y compris dans des fêtes de riches, me pousse à envisager le pire – y compris une attaque. D’un claquement de langue j’attire l’attention des deux autres et demande : « Est-ce que je suis le seul à voir ce truc dans l’air ? Si oui, ce champagne est vachement alcoolisé. Sinon, je suggère qu’on évacue tout le monde. ». Si on a le temps.