Tranquillement, je me remets de la veille qui a été, il faut le dire, extatique. Je viens à peine de me réveiller, malgré l'heure tardive. Hier, je jouais dans le bar où je travaille d'habitude comme barmaid. C'était un vrai coup de chance, en fait. Le groupe qui devait y jouer normalement avait annulé à la dernière minute. Mon patron avait besoin d'un groupe dans les plus brefs délais et j'étais sur place. Je lui ai proposé un de mes groupes et il a accepté. Je n'appartiens pas à un groupe en particulier. Je pratique avec plusieurs groupes, n'ayant pas encore trouver d'attache suffisante pour quitter les autres groupes, choses qui convient bien à tout le monde puisque, il faut le dire, un batteur, dans un groupe, ça se remplace facilement. J'aime à croire que j'apporte quand même quelque chose de particulier à un groupe lorsque je joue avec. De la passion.

Hier, j'ai tout donné. J'ai joué comme une déchaînée avec un grand sourire sur les lèvres et je crois que le publique a apprécié vu le nombre de verre qu'on m'a payé après le concert. Résultat, aujourd'hui, j'ai des courbatures et une petite gueule de bois. Rien de bien phénoménale, mais juste assez pour me donner un mal de tête. Pas de nausée et les murs ne bougent pas. C'est bon signe. Il est trop tôt. Je constate que, dans mon état d'ivresse hier soir, je n'ai pas pensé à fermer les rideaux de ma chambre avant d'aller au lit, dont je ne sais plus trop comment j'ai fait pour en retrouver le chemin. Une lumière vive me réveille aux petites heures et me brûle les yeux. Je tâtonne autour de moi avant de réaliser qu'il s'agit du soleil. Bordel, pourquoi le soleil n'a pas de snooze? Ne voulant pas me lever, je tire les couvertures sur ma tête, me blottit contre la montagne d'oreiller qui habite mon lit et me rendort. Je ne sais pas si c'est quelques minutes ou quelques heures plus tard, mais j'émerge de mon sommeil comateux et sors du lit. Tout de suite, j'ai un frisson qui me partout et la chair de poule envahit ma peau. Vite, à la douche pour me réchauffer, me réveiller et, surtout, retirer l'odeur d'alcool qui me colle à la peau. L'eau chaude me fait du bien. J'y serais resté indéfiniment si je n'avais pas tourné d'un coup le robinet d'eau chaud pour le fermer. L'eau glacé a bien fini de me réveiller et je suis sortie d'un bond de la douche. Bien, maintenant que je suis réveillée, que faire? Aujourd'hui, c'est ma journée de congé. Je réfléchis quelques instants, me demandant comment occupée ma journée, en sachant très bien que je vais terminer à la Pleine Lune, comme toujours.

Je m'habille d'un t-shirt blanc avec un joli dessin noir dessus, une magnifique veste et un jeans skinny. Comme il fait froid dehors, je mets mon bonnet de laine noire que j'aime tant, puis j'attrape mon sac à dos et en vérifie le contenu. Parfait, tout est à sa place. Il ne me manque que mon casque d'écoute bleu que je m'empresse d'aller chercher et d'installer sur mes oreilles. Dès que je sors de mon petit appartement, je verrouille la porte et démarre la musique. Aujourd'hui, j'écoute un groupe que j'ai connu très récemment nommé Broken Iris. J'aime bien, ça bouge. Tranquillement, je marche vers le restaurant qui n'est qu'à quinze petites minutes de chez moi. Cela a beaucoup joué sur mon choix d'appartement, en réalité. Lorsque je pousse la porte du restaurant, je retire mon casque, salue les gens déjà présents, discute un peu ici et là puis je commande un café très corsé et très sucré. Mon breuvage chaud en mains, je vais m'installer à une table près de la fenêtre pour pouvoir regarder un peu dehors, mais je sais que mon attention ne sera prise que par une seule chose; le cahier de dessiner à colorier que je sors de mon sac. Avec mes feutres, j'entreprends de rajouter de la couleur et de la vie à l'un de ses dessins en noir et blanc après avoir remis mon casque sur mes oreilles. Je ne sais pas combien de temps plus tard, je suis tirée de mon élan artistique par une jeune femme blonde qui me fait un petit signe. Je laisse glisser mon casque dans mon cou et lui sourit. « Bien sûr. » Je ne la connais. Je l'ai déjà vu quelques fois et, pourtant, je n'ai jamais discuté avec elle. C'est vrai que son jeune âge doit y être pour quelque chose. Pourtant, elle me semble sympathique.

Lorsque la jeune femme passe sa main dans ses cheveux, je me mordille un peu la lèvre. Quelle manie adorable. Et puis mon visage s'illumine d'un coup. J'étire grand mes lèvres dans un sourire des plus sincères. Elle a vu notre performance? Et elle a aimé! J'en suis ravie. Je me redresse sur ma chaise et joue avec l'un de mes feutres dans ma main, sans avoir remis le bouchon, créant de belles lignes colorés sur mes doigts. Je n'ai pas eu le temps de répondre qu'elle se présente. Jules-Angelo. C'est original comme nom. Plutôt masculin, selon moi, mais ce sont peut-être mes racines américaines qui parlent. Jules donc. Voyant le rouge monter aux joues de la belle Jules, je lui tends ma main pour la lui serrer. « Enchantée Jules! Moi c'est Kenny. Tu étais au bar hier? Tu n'es pas un peu trop jeune pour aller là? » Même avec mon accent à tout cassé, mon ton est moqueur et léger. J'aime beaucoup taquiner. Ce n'est jamais méchant. De ma main libre, je prends une gorgée de mon café. Depuis le temps, il est froid, mais cela ne me dérange pas. Je l'aime autant chaud que froid. Juste pas tiède. Savourant ma gorgée, je me rends compte que, si la belle Jules était au bar en cachette, elle pourrait penser que je la menace de tout raconter. À qui, je ne le sais pas, mais je me sens obligée de lui faire un clin d'oeil. Un clin d'oeil, vraiment?

J'aime à croire que je connais une grande majorité de la meute de Shadows. Je passe tout le temps que j'ai lorsque je ne travaille pas ou que je ne pratique pas à jouer d'un instrument avec eux. Je peux presque appeler tous les membres de la meute par leur prénom. Enfin presque. Il y a quelques membres, quelques solitaires, qui préfèrent mener une vie plus éloignée de la meute, tout en continuant d'en faire partie. Je ne les comprends pas, mais je ne les juge pas. Pour moi, la meute, c'est une famille, bien meilleure que celle que j'avais lorsque j'étais encore humaine. Je ne pourrais pas me passer d'eux. Ainsi, là tout de suite, discuter avec la belle Jules me semble une excellente idée. La meute aura encore moins de secrets pour moi. Lorsqu'elle sert ma main, je souris de plus belle et le regrette un peu. Mon cerveau se met à élancer dans mon crâne et me fait un peu plisser le nez de douleur, très légèrement. Allons, il faut que je me calme si je ne veux pas me retrouver avec une migraine faramineuse. J'allais y parvenir lorsque Jules-Angelo me sort cette phrase vraiment adorable. Oui, ça aurait été dommage. Je souris de plus belle, encore, dévoilant mes dents supérieurs par la même occasion. Je me fais remettre à ma place de la manière la plus mignonne qui soit. Décidément, cette jeune fille me plaît déjà. Je prends une autre gorgée de café, sans cacher le bonheur qui me vaut sa réplique.Je joue de la batterie principalement parce que j'adore ça, mais si ce que je fais plaît aux autres, c'est encore mieux.

Cachée derrière ma tasse, j'observe un instant mon interlocutrice. Cheveux blondes, visage angélique. Jamais personne n'aurait pu dire que sous cette beauté se cachait un loup-garou. J'en suis moi-même étonnée. Pourtant, je ne peux pas douter. Elle est présente en cet instant et l'odeur de la meute, quoi que très faible, émane d'elle en une subtile effluve. J'aimerais la voir sous sa forme de loup. J'aimerais la voir sans ses vêtements. Je tilte. Doucement, tu ne sais même pas quel âge elle a. Sa remarque sur mes dessins me ramène à l'ordre et me fait pencher la tête vers mon cahier. On peut y voir un mandala inachevé dans lequel se croise et recroise des couleurs dans les teintes chaudes que j'ai choisi au hasard. Le rouge, le jaune, le orange et le rose font ressortir les lignes du contour du dessin imprimé à l'encre noire. Je remarque l'état de mes doigts au même moment où la belle Jules me le fait remarqué. Mon regard retourne s'accrocher au sien lorsqu'elle rit de ce rire si jeune, si entrain qui me fait rire à mon tour. J'attrape le bouchon de mon feutre et le remet en place. Je n'arrête pas pour autant de jouer avec. Je le tourne et retourne entre mes doigts comme je le ferais avec mon drums stick. « Super le orange! Je vais économiser sur la manucure ce soir! »

Je retourne à mon café lorsque je réalise que Jules m'a fait un compliment et que je n'y ai pas répondu. Je laisse échapper un « Oh! » puis je me redresse à nouveau sur ma chaise. Élancement dans le crâne. Je tourne mon cahier de dessin vers elle, pour qu'elle le voit mieux. « C'est gentil, mais je n'ai pas vraiment de talent pour ça. Il suffit simplement de ne pas déborder des lignes! J'aimerais bien pouvoir dessiner moi-même les contours, mais je ne sais dessiner ce que ce ressemble de près ou de loin à un ragoût de mollusques. » Je souris puis hausse les épaules. C'est tout à fait vrai. Je pourrais apprendre, j'imagine, mais mon véritable domaine, c'est la musique. Je fais ces coloriages pour me détendre. Je reprends une autre gorgée de mon café froid et me rend compte que je l'ai terminé et que, vu l'heure, je devrais peut-être manger quelque chose.  « Je meurs de faim! Tu veux quelque chose? Je te l'offre! » La soirée de hier ayant été un succès, je peux me permettre d'offrir un repas à la belle Jules. Et puis le plaisir de sa compagnie vaut mieux de piger un peu dans mes économies après tout.