Appuyée contre un muret à l’extérieur du restaurant familial Rosalina surveillait du coin de l’œil Lucca qui profitait de la douceur de la soirée d’été en jouant dans la rue. Ce n’était pas habituel que le petit soit présent à une heure si tardive dans l’établissement mais la jeune mère n’avait pas trouvé de solution pour le faire garder ce soir là et elle ne pouvait décemment déserter le restaurant un soir de weekend en pleine saison. Néanmoins elle comprenait bien que l’enfant finissait par languir enfermer toute la journée dans la salle alors elle profitait d’un peu de calme pour lui permettre de prendre l’air. Pourtant, malgré cette pause bien méritée la gérante avait du mal à décrocher et à laisser son personnel, en qui elle avait pourtant une totale confiance, gérer le bon déroulement du service. Alors elle s’occupait régulièrement d’accueillir de potentiels clients, de saluer des habitués ou bien de conseiller de touristes qui avaient osé s’éloigner un peu des quartiers les plus touristiques de la ville. « Installez vous je vous en prie messieurs dames on va s’occuper de vous de suite. » Indiqua-t’elle au groupe avec un sourire accueillant. Lorsqu’ils furent entrés elle attrapa le petit garçon qui courrait autour d’elle par la taille pour le prendre dans ses bras et de lui demander doucement : « Lucca, rentre maintenant, va voir tonton tu veux bien mon ange ? Maman doit travailler un peu, je te promets qu’on rentrera bientôt. » La jeune femme dépose un baiser sur la tempe de l’enfant avant de le déposer sur le sol : elle ne comptait pas terminer le service de ce soir elle attendait seulement que le restaurant se vide un petit peu pour rentrer chez elle. Le jeune garçon serre quelques secondes la main de sa mère avant de s’engouffrer à nouveau dans la salle enfumée du restaurant pour aller s’installer bien confortablement derrière le bar aux côtés du barman : le petit était tellement habitué à passer des soirées au restaurant qu’il était connu et apprécié par l’ensemble du personnel qui le considéraient à la fois comme un fils ou un petit frère et comme une mascotte pour certains. Le suivant du regard le temps qu’il soit entre de bonnes mains elle finit par se retourner vers l’extérieur du restaurant pour accueillir de nouveaux clients. Lorsqu’elle se redressa elle tomba nez à nez avec un visage plus que connu : « Oh tiens, quelle surprise, bonsoir. » Devant l’étonnement visible de Celestino à la retrouver dans cet endroit Rose fronce légèrement les sourcils avant de s’exclamer en s’effaçant de l’embrasure de la porte : « Eh bien, entre, ce n’est pas comme si tu attendais la permission habituellement. » La pique, acerbe, est rapidement balayée par un sourire aimable, entre les murs de son restaurant il ne s’agissait plus de la baronne du trafic, de la femme d’affaires sans pitié et profondément rancunière il ne restait plus que l’autorité nécessaire à faire tourner un établissement de restauration. Du reste c’était plus avec ses sourires et sa douce innocence que Rosalina maintenait l’ordre. « Je te sers quelque chose ? » Demande-t’elle une fois que l’homme fut installé sur un tabouret de bar en lui tendant une carte. Si les paroles étaient cordiales il y avait dans le regard de la blonde une lueur qui ne présageait rien de bon : s’il y avait bien quelque chose qu’elle ne supportait pas, c’est que l’on s’immisce dans sa vie privée et le loup avait fait l’erreur de confondre son domicile avec celui d’une potentielle victime. Bien mal lui en aura pris de croiser Lucca dans les couloirs de la demeure car la jeune femme était pire qu’une ourse lorsqu’il s’agissait de protéger son enfant. Depuis, les règles avaient néanmoins été posées, en dehors des lieux prévus à cet effet et des rendez-vous qu’elle fixait, le trafic ne devait jamais entrer dans la conversation. La gérante avait une réputation à tenir, et surtout elle ne donnait pas cher de sa peau si ses magouilles étaient révélées au grand jour. Alors, malgré le fait qu’elle ne doutait pas que Celestino tenait suffisamment à sa liberté pour ne pas ébruiter cette histoire elle reste face à lui derrière le bar le temps qu’il fasse son choix et en fera certainement son client privilégié de la soirée.

La soirée pointe le bout de son nez dans la ville italienne, la journée ne fut pas très productive, tu dois bien le reconnaître, tu t'es levé à quatorze heures et tu as traîné chez toi. Enfin, dans cet appartement que tu squattes le temps que les propriétaires refassent surface. Tu vis comme ça ces derniers mois. Tu vas de maison en maison, tu t'appropries ce qui n'est pas a toi, c'est ton credo. T'es un cambrioleur de talent, tu profites de ton don et pourtant, si le logement ne te pose pas de problème, il faut bien que tu manges. T'es pas doué en cuisine et depuis que tu as quitté ta mère, tu n'as plus réellement fait un bon repas. Tu vas de restaurant en fast-food, t'as fait le tour et tu ne trouves ton bonheur nul part. On t'a parlé d'un restaurant à Monti, quelque chose de familiale où l'accueil est à la hauteur de la cuisine. Il n'en fallait pas plus pour piquer ta curiosité. Jean et chemise, t'es élégant ce soir on ne sait jamais quelle demoiselle croisera ton chemin, l'élégance a l'italienne, une adresse gribouillée sur un bout de papier chiffonné dans le fond de la poche, t'approches de l'endroit. Il ne paie pas de mine, ce n'est pas l'attrape touriste dont on a l'habitude, c'est quelque chose de plus authentique, t'aimes bien l'architecture de la façade.  Sans t'en rendre compte, tu as suivi un groupe de personnes, t'es invisible Tino, aucun d'eux n'avait fait attention qu'une personne  s'est greffée a eux, néanmoins, ton regard croise celui d'une jolie blonde dans l'encadrement de la porte. Visage angélique qui te décroche la mâchoire. Aie. De tous les restaurants de la ville, il fallait que ce soit le sien. Bambi.

Son regard clair te caresse sans aucune tendresse, dommage. T'hésites, tu n'as pas envie de t'inviter une nouvelle fois dans sa vie, elle te tiens par les palle depuis que tu as tenté de subtiliser quelques objets à son domicile. Tout était parfait pourtant. T'avais juste pas prévu qu'un gamin de cinq ans serait prit d'un besoin urgent. Quelle idée les gosses ! Bonsoir Bambi...na. T'ignores si c'est son prénom ou non, alors tu rattrapes ta bourde avant qu'elle ne t'arrache les yeux, tu souris en baissant les yeux tout en passant une main derrière ton crâne t'as raison, s'il y a de la place j'veux bien une place. Tu avances vers le bar où un tabouret t'attends, t'es curieux, tu découvres une autre face de la demoiselle, bien moins inquiétante, elle semble presque normale inoffensive et son sourire t'intrigue quand elle te demande ce que tu prends j'veux bien une bière et ... on m'a beaucoup parlé de la cuisine de ce restaurant, il y a une spécialité que tu recommandes ? Pas de végétarien s'te plait, un sourire naif vient fendre ton visage, t'as jamais été végétarien, mais depuis que t'es passé dans le côté obscur, t'es carrément devenu carnivore. C'est drôle. Un effet secondaire peut-être ?

Elle manque de laisser transparaitre son agacement lorsque Celestino prononce son patronyme d’une autre vie mais ce dernier se rattrape rapidement arrachant seulement un léger mouvement de tête à la jeune femme. Préférant ne pas attendre de voir le loup se confondre dans les mensonges elle décidé de se présenter rapidement, ou du moins de présenter le personnage qu’elle jouait ce soir là, et tous les autres soirs : « C’est Rose, Rosa, Rosie, comme tu veux, ici. »  Lui murmure-t’elle d’une voix détachée alors qu’elle fait entrer un nouveau groupe dans le restaurant. Elle ne s’attarde pas sur le sujet, non seulement car elle n’estimait pas que cela soit nécessaire, mais aussi car elle ne voulait pas risquer d’être entendue par des oreilles indiscrètes. Bien placée pour savoir que ces dernières étaient toujours tapies dans l’ombre Rose avait appris à ne pas prendre de risques inutiles. « J’ai toujours une petite place, suis moi ! » S’exclame la jeune femme avec un large sourire comme toute bonne commerçante le ferait. Elle avait rapidement été rompue aux manières et aux coutumes de la restauration, à ce large sourire avenant et aux prises de décision rapides, aux plats qui s’enchainent et aux verres qui s’entrechoquent : elle avait quasiment grandit ici Rose, suivant les pas de sa grand mère à l’époque comme Lucca suivait les siens aujourd’hui. Quelques secondes plus tard à peine le loup est installé et la biche l’observe d’un oeil attentif comme si les rôles étaient inversés et que la proie devenait le chasseur : mais elle n’attaquerait pas ce soir, bien trop occupée à jouer ce rôle de parfaite maitresse de maison qu’elle avait embrassé il y a dix ans de cela en même temps que la face cachée du décor.
Un léger rire s’échappe des lèvres de la blonde alors que l’homme face à elle indique préférer les protéines animales. Elle avait l’habitude de servir des créatures, ainsi le régime carnivore ne lui faisait pas plus bizarre que les végétariens : « T’inquiète pas j’ai tout ce qu’il faut ici ! » Ce n’était pas la première saison qu’elle avait étendu sa clientèle, même à l’époque où sa grand mère tenait encore l’établissement, chacun était le bienvenu dans le restaurant, tant qu’il laissait ses querelles au pas de la porte. « Tu n’as donc jamais gouté aux lasagna de nonna ? C’est un véritable sacrilège ! » Reprend-elle avec une mine des plus théâtrales en mimant la surprise à l’extrême.   La recette des lasagnes de sa grand mère était un secret aussi bien caché que l’appartenance des Moretti aux trafics romains depuis des décennies, c’était une des raisons qui faisait que le restaurant avait autant de succès et Rose était heureuse que le chef de l’époque, un vieux loup solitaire au sens propre comme au figuré, accepte de rester à ses côtés lorsqu’elle avait repris les rênes de l’établissement. Cela lui permettait de s’appuyer un peu sur lui en cas de besoin, il la connaissait pour ainsi dire depuis toujours. « T’as entendu ça chef ? Une part de lasagnes pour le bar je te prie ! » Un rire sonore s’échappe des cuisines avant que la gérante ne retourne son attention vers le brun qui était attablé face à elle.  « Pression la bière ? Blonde ? Brune ? » Le questionne-t’elle appuyée contre le comptoir. Malgré son apriori quant à la présence du loup au restaurant, et près de Lucca, elle ne pensait pas qu’il soit foncièrement mauvais, ainsi elle était prête à en apprendre plus et, du moins dans un tel contexte, à faire l’effort de mettre ses idées de côté. N’était-ce pas ce qui était demandé à l’auberge ?
Tout en jetant un coup d’oeil à la salle pour s’assurer que tout fonctionnait comme il le fallait  Rosalina prit appui contre un tabouret qui traînait là et croise les bras sous sa poitrine non sans garder un air aimable sur le visage : « Alors dis moi, qu’est-ce qui t’as amené au fin fond des ruelles de Monti ce soir ? » Ce n’était pas le quartier le plus touristique de la capitale, ni celui auquel on pensait en premier lorsque l’on souhaitait passer la nuit dehors, pourtant les ruelles avaient leurs joyaux et leurs secrets et Rose ne se sentait chez elle qu’aux abords de la gare. Mais elle était née ici, et si Dieu le voulait bien elle s’éteindrait entre ces murs aussi : le plus tard possible de préférence même si la blonde savait bien que les temps n’étaient pas sûrs.