Il paraît que...
« Je n’arrive pas à croire que tu n’aies jamais entendu parler d’Amaryllis Oulanov ; elle est plutôt connue à Moscou. En tout cas, elle l’était dans mon lycée. C’est la cadette des Oulanov ; les Oulanov des laboratoires pharmaceutiques. Ils sont aussi connus pour un scandale ayant éclaté autour d’eux, il y a 18 ans, lorsque le monde obscure a été découvert par l’humanité. Il s’est avéré qu’ils connaissaient déjà l’existence des créatures obscures et des néphilims : depuis des siècles, ils fréquentaient un sorcier. Certains pensent que c’est grâce à ce sorcier qu’ils sont devenus ce qu’ils sont aujourd’hui, d’autres pensent qu’il a surtout été un protecteur, d’autres suspectent un genre d’arrangement avec des créatures obscures et d’autres encore parlent d’ancêtres communs entre le sorcier et la famille. Certes, les Oulanov et ce sorcier sont en contact depuis des siècles mais, si vous voulez mon avis, toutes ces histoires autour de ce lien ne sont que des rumeurs inventées pour alimenter les discussions de comptoirs de Moscou.
C’est assez courant de connaître l’actualité de ce genre de familles qui ont un poids économique important. On connaît le frère aîné, Maximilien, parce qu’il est l’héritier de l’empire pharmaceutique de la famille ; il deviendra le PDG officiel des laboratoires à la mort de ses parents. On sait aussi que la petite dernière, Selena, devrait probablement épouser Viktor Pyriev, le fils d’une autre famille du même genre – un énième mariage arrangé non avoué officiellement. Mais personne ne connait Amaryllis pour qui elle sera ; tout le monde la connait pour qui elle est. Sa naissance n’a pas fait plus de bruits qu’une autre naissance. Seuls quelques employés des laboratoires et des membres des familles rattachées à la sienne ont pu se demander qui sera cette gamine : avocate pour l’entreprise familiale, chercheuse en pharmaceutique, directrice des ressources humaines, directrice marketing,
« femme de » ? Non, sa naissance a été bien plus silencieuse que celle de son frère (oh grand héritier des laboratoires !). En revanche, c’est en grandissant que ce prénom atypique commença à faire parler de lui.
Enfant, elle était pleine de vie et d’imagination ; si bien qu’il pouvait être difficile de canaliser autant d’énergie pour qui ne savait pas comment la calmer. Elle était sans cesse dans son monde et refusait les contraintes liées au statut de ses parents. Il paraît que peu de personnes arrivaient à lui faire entendre raison. Ce n’était qu’une enfant mais dans ce monde de hauts placés, ce genre de d’indiscipline, bien qu’amusante, n’était pas toujours bien vu.
Amaryllis avait un an d’avance par rapport aux autres. Il me semble que l’école avait proposé de lui faire sauter une classe pensant qu’elle s’ennuyait ou quelque chose du genre. Je pense que l’idée n’était pas mauvaise puisque je l’ai toujours connue attentive en classe et pas dissipée comme les rumeurs le disaient…
Mais passons, ce n’est pas la partie la plus intéressante de sa vie. Pour ma part, j’ai commencé à entendre parler d’elle au lycée. Elle faisait partie d’un groupe de quatre amis ; un groupe un peu étrange. Ils se sont connu quand ils avaient 13-14 ans je crois et sont très vite devenus amis. On parle souvent de groupes d’amis inséparables mais là c’était bien plus que ça. Tous les quatre ont été séparé à partir du lycée : ils se sont retrouvés dans 3 lycées différents, si je ne dis pas de bêtise. Cependant, alors qu’à cette période beaucoup d’amitiés se sont terminées la leur a simplement évolué. Ils sont restés très proche, trop proche. En réalité, je crois que personne ne sait vraiment quel genre de relation ils entretenaient ; pas même les autres amis qu’ils pouvaient avoir respectivement. Personne ne pouvait intégrer leur groupe, ni même s’approcher d’un peu trop près. Aucun des deux garçons et aucunes des deux filles n’ont eu de relations amoureuses sérieuses à cette période, alors que beaucoup connaissent leurs premières relations à cet âge-là. Ils flirtaient mais finissaient toujours par rejeter quiconque s’approchait un peu trop. Non, personne ne savait réellement ce qu’il se passait dans ce groupe. Tout ce que je sais c’est qu’il n’y avait rien de normal dans cette amitié, qu’il y avait quelque chose de malsain ; tout le monde le savait, tout le monde le sentait. Des rumeurs couraient dans les couloirs de leurs lycées. Au début, beaucoup pensaient que les filles étaient chacune en couple avec l’un des garçons mais les rumeurs ont vite tourné. J’ai entendu dire qu’ils se défiaient sans cesse, d’autres disaient qu’ils n’étaient pas simplement amis mais bien plus que ça, quelques personnes préféraient penser qu’ils se donnaient simplement un genre et certains sont allés jusqu’à penser à une espèce de secte ou de pacte. Apparemment, même les parents désapprouvaient cette relation ; bien qu’eux-mêmes ne semblaient pas en savoir plus que le reste du monde.
Et puis, du jour au lendemain, on n’a plus entendu parler de ce groupe. Plus aucunes histoires sur leurs dérapages ne circulèrent et on ne les croisa plus dans les soirées pendant quelques semaines. Ce fut comme s’ils avaient disparu. Puis, au bout d’un moment on a fini par les voir réapparaître peu à peu sauf Amaryllis. Certains ont posé de questions. Les trois ne semblaient pas savoir où elle était passée. Je ne sais plus si la vérité a été dévoilée par son frère ou par sa sœur mais il s’est avéré qu’elle était partie à Yale, aux Etats Unis. Le membre de la fratrie expliqua que c’était dans le caractère d’Amaryllis de pouvoir tout quitter sans se retourner mais tout le monde savait qu’elle ne serait pas partie sans tenir ses trois « amis » au courant. A vrai dire, je pense qu'il lui aurait été impensable de partir sans eux. Et soyons honnête, la père Oulanov avait la réputation d’être dur et misogyne sur les bords : il n’aurait surement pas autorisé sa fille à partir étudier à l’autre bout de la planète. Il s’était passé quelque chose, les membres de quatuor étaient surement mêlés, mais personne ne savait quoi. Peu de temps après, un autre membre du groupe quitta également la ville ; mais pour le coup, je n’ai aucune idée de où il a pu aller ni pourquoi il est parti.»
« Tu ne vois pas qui c’est ? ‘Llis c’était une rousse avec des longs cheveux ; une russe qui étudiait la communication. Je crois que peu de gens la connaissaient réellement alors qu’elle était toujours avec plein de monde. On savait assez peu de choses sur sa vie. Il y avait quelques rumeurs sur son histoire mais c’était surtout des clichés par rapport à sa nationalité. En réalité, on la connaissait pour son côté fêtard un peu extrême. C’est le genre de personne qui vit sa vie à fond, à un point où sa pouvait devenir dangereux. Par exemple, je sais que par un moment elle s’est retrouvée mêlée à des « run »… par contre je ne sais pas si elle conduisait ou si elle était simplement passagère. Par un moment il y avait aussi des rumeurs comme quoi elle aurait des morsures de vampires sur le corps mais ça je n’y crois pas trop. En tout cas, elle fricotait beaucoup à droite et à gauche, avec des hommes et des femmes et pas toujours avec des humains. La… troisième année, elle a commencé à fréquenter un gars de l’université, un humain. Enfin, c’était un « plan cul régulier » quoi. Il l’aimait vraiment bien mais elle ne voulait rien de sérieux à ce que j’ai compris.
Enfin bref, l’autre soir il y avait la soirée annuelle où les nouveaux diplômés « accueillent » les nouveaux étudiants. Elle n’était pas là et j’ai vu son « copain » justement. Il m’a dit qu’un jour, il y a trois semaines je crois, il est passé chez elle et que son appartement était complètement vide. Elle est partie sans rien dire alors que la veille encore il était prévu qu'ils se voient le lendemain.
Il pense que, maintenant qu’elle est diplômée, elle est retournée en Russie pour retrouver un premier amour, ou quelqu’un qu’elle aime en tout cas. Il pense qu’elle était amoureuse et qu’elle savait qu’elle repartirait ; que c’est pour ça qu’elle ne voulait pas s’attacher à lui ou je sais pas quoi. Moi je suis de ceux qui se disent que, si elle est retournée en Russie, c’est surement par rapport à une histoire de mariage arrangé.»
« Beaucoup pensaient qu’elle reviendrait à Moscou une fois diplômée mais elle n'est toujours pas rentrée chez elle. J’ai entendu dire que ses parents avaient reçu une lettre de sa part : je pars. Deux mots. Si c’est vrai, son père doit être furieux. »
10 Novembre, au Château de Malherbe.Près du bar, un homme et une femme discutaient. Comme chaque soir, la pièce était sombre, seuls quelques lumières chaudes éclairaient le lieu. La musique sensuelle et les bruits ambiants couvraient leur conversation. De temps à autres, quelques mots se faisaient entendre.
« problème », « absente », « responsable », « faire », « sûr », « là »
On pouvait d’ailleurs reconnaître l’accent de la jeune femme : elle n’était pas italienne ; mais devait plutôt venir d’un pays de l’est. Il n’y avait aucune séduction, ni aucun jeu de charme dans l’air. Un homme et une femme peuvent avoir une discussion sans arrières pensées me direz-vous mais ils étaient au Château de Malherbe, un club de striptease (si vous voyez où je veux en venir).
La musique baissa peu à peu au point que leurs phrases devinrent audibles pour les personnes proches d’eux.
« Onyx est un sorcier très compétent mais il n’est pas un dieu. Il ne pourra pas remplacer une danseuse en un claquement de doigts. Mais moi si ! » Le visage de l’homme marqua son incompréhension face aux paroles de la femme. Elle lui tendit son portable -
«Spasibo ! »- et abandonna l’homme. Elle traversa le bar, défilant entre les tables alors que la musique continuait de baisser. Plusieurs regards intrigués se tournèrent vers elle, suivant son trajet. Elle arriva au pied de la scène. Un pied après l’autre, elle monta les marches et s’avança sur la scène, sans jeter un œil au public.
« Envoie la musique ! » ordonna l’homme à son talkie-walki ; l’intention de la femme était devenue claire.
Seule au centre de la scène, encore dos au public, elle glissa sa main droite dans ses cheveux pour ôter la barrette et libérer sa longue crinière rousse. Tandis que la musique démarrait, elle commença à se mouvoir sur le rythme de celle-ci, jusqu’à se laisser totalement emporter dans sa danse.
Amaryllis Léonide Oulanov