Décembre 1981 – Naissance. Tu n’étais pas voulu. Du moins, tu l’étais à moitié. Voulu par ta mère, tu ne pouvais pas en dire autant par ton paternel. Celui-ci avait cherché à faire avorté la tendre femme t’ayant porté neuf mois dans son ventre. Cette dernière a refusé catégoriquement. Il était hors de question que tu foules pas la Terre de tes propres pieds. Elle t’aimait déjà tant. Et elle n’a jamais cessé, tu le sais, jusqu’à son dernier souffle. Cette même année, ton géniteur s’est tiré. Les valises déposées dans l’entrée ont fini dans le coffre de sa vieille voiture tenant en un seul morceau par pur miracle. Et le doux visage maternelle, pensant que son homme avait fait une erreur de jeunesse et qu’il reviendrait tôt ou tard, t’as fait porter son nom pendant de longues années, avant de vouloir effacer ce lâche de votre mémoire.


1981 à 1997 – Tu as grandi. Les années ont passé sans que tu ne puisses t’en apercevoir. Toi, le garçon ayant la responsabilité de veiller sur ta mère malade. Ta vie était loin d’être aussi simple que celle de tous les adolescents de ton âge. Tu allais en cours, entamais un boulot le soir, avant de rentrer pour préparer le repas, ranger la maison et veiller sur ta mère. Tes nuits étaient courtes à cette époque, mais tu ignorais que ce n’était pas encore le pire à venir.


Juin 1997 – Pire nuit de toute ton existence. Tu étais sorti, parce que ta tendre mère avait eu besoin d’un médicament que tu avais oublié de prendre à la pharmacie en rentrant de ton petit job. Alors, tu avais remis tes chaussures et tu étais à nouveau sorti. Tu n’en avais pas pour longtemps, alors tu n’avais pas pris la peine de prendre d’autres affaires qu’un peu de liquide pour payer le traitement. Tu ne savais pas que ton monde allait basculer. Tu n’as rien pu venir. Sur le chemin, sur le trottoir, tu as juste ressenti une immense douleur. Comme des griffes plantées le long de ta colonne vertébrale. Puis un grognement. Et des crocs acérés transperçant ta chair au niveau de ton cou, de ton épaule. Et le noir. A ton réveil, tu gisais dans l’herbe, dans une ruelle, loin de tout. Miracle que tu ne sois pas mort. Espoir que tu meurs. La douleur est telle que tes hurlements trahissent le ciel qui tarde à se teinter de ses couleurs bleutées. Les jours se sont écoulés avant que l’on ne vienne à ton secours. La souffrance atténuée, ils ont commencé à te parler de loups, de créatures obscures. Tu n’as rien voulu entendre, rien voulu croire, avant d’en être témoin. Puis, la déception s’est lue sur leur visage quand tu n’as su leur décrire le loup t’ayant agressé. Gamin terrifié de ce nouveau monde. Mais gamin ne désirant qu’une seule chose : retrouver sa mère et lui offrir les médicaments dont elle a besoin pour chasser la maladie qui ronge ses entrailles. Ils ont d’abord refusé, te disant que tu n’étais plus qu’un danger pour elle qu’une aide. Mais d’une manière ou d’une autre, tu es parvenu à les convaincre. Ta détresse était palpable : tu ne pouvais pas la laisser seule. Alors tu as promis de garder tout ceci pour toi, de garder le secret. Une promesse bien plus dure à tenir que tu ne l’aurais espéré. Mais tu l’as fait. Jusqu’à ce que ta génitrice ne rende son dernier souffle.


1998 à 2017 – Tout est allé beaucoup trop vite. Tu t’es retrouvé propulsé dans un monde qui n’était pas le tien. A apprendre les règles de vie dans une meute. A apprendre à obéir à ton alpha que tu n’as alors pas véritablement choisi. Il s’est imposé à toi. Et les idées qu’ils ont essayé de te mettre en tête n’ont pas forcément trouvé une place dans ton esprit, pas la moindre résonnance. Ils ont leurs idées, et tu tentes plus que tout de garder les tiennes. C’est pour cela que tu n’as jamais cessé de rendre visite à ta mère. Et ce, même lorsque la maladie s’est tue pour votre plus grand bonheur. Elle allait enfin s’en sortir. C’est ce que vous aviez pensé tous les deux, avant qu’une épidémie toute nouvelle ne frappe la ville. Une maladie vaincue, une autre revient gâter vos espoirs. Une quinzaine de jours. C’est tout ce qu’il a fallut pour qu’on te la prenne, pour qu’on te l’arrache brutalement. La folie s’est emparée d’elle. Elle ne te reconnaissait plus comme son fils mais comme le Diable en personne. Alors tu te contentais de veiller sur elle pendant que le sommeil pesait sur ses épaules, jusqu’à sa mort. Tu n’as plus jamais été le même après cela. Plus rien n’a été pareil. Qu’importe la politique, la rébellion et les guerres. Le traumatisme est trop lourd et les souvenirs sont les seules choses qui t’importent.

2018 – Les souvenirs étaient les seules choses qui t’importaient, jusqu’à ce que les clans de loups ne se retrouvent au sein d’une guerre entre Créatures Obscures. Ce monde qui ne t’est plus si inconnu ne fait que tirer sur un élastique déjà fragile. Tu ne sais pas encore quel choix tu feras, ni quelle décision tu prendras pour régir ta vie. Parce que ta vie. Elle se construit maintenant. Maintenant que tu n’as plus rien d’autre à perdre que ta propre vie.