Elle se souvient encore du temps où il la poussait dans la boue, où il était jaloux d'elle, au point de lui casser ses poupées. L'entente se faisait en dent de scie, et grandir ne les aidait pas à se rapprocher l'un de l'autre. Gabriele et Claudia, c'était le cliché même du frère et de la sœur qui ne se supportent pas, qui se dénoncent l'un et l'autre aux parents... Jusqu'à ce qu'ils ne puissent que compter l'un sur l'autre. Le sort semblait s'acharner à vouloir faire disparaître les De Angelis de l'Italie. Leur père avait quitté ce monde, leur mère, elle, personne ne savait ce qu'elle était devenue, disparue sans que ça ne gêne la moindre autorité qui avait bien plus à faire à l'époque. Alors ils se sont regardé de plus près, l'ainé et la cadette, et ils ont fini par arriver à travailler à deux. S'il n'était pas certain que ce soit le cas, il n'y avait plus de doute : ils s'aimaient, autant qu'ils s'aiment encore aujourd'hui, de cet amour inconditionnel que l'on partage dans les familles dont les membres sont très proches. Tout était déjà de la faute des créatures sombres qui s'étaient révélées au grand public. Claudia avait souvent entendu ses parents les blamer, jeter la faute de beaucoup de choses sur eux, avec des arguments trop recevable pour douter de leur véracité. Elle n'était pas dupe aussi, elle savait que c'était leur apparition et leurs agissements qui l'avait empêchée d'avoir une adolescence normale. Et au fond d'elle-même, elle s'attendait que sa vie ou celle de son frère, leur soit arrachée du jour au lendemain. Un jour, elle se retrouverait seule, et c'est pour cette raison qu'elle prend ainsi son temps lorsque son frère prend soin d'elle, lorsqu'elle sait qu'il a aussi besoin de sa cadette en retour.


Les créatures sombres, les néphilims et tout ce qui n'était pas naturel, semblait avoir disparu pour Claudia. Elle vivait dans son petit monde rose, et rien ne pouvait écraser le château de cartes qu'elle avait construit de bases solides. Rome l'accueillait depuis déjà le début de ses études. Informatique, criminologie, et sport. Un cursus court qu'elle avait choisi pour vite trouver de quoi travailler et aider son frère qui supportait déjà depuis trop longtemps toute les dépenses. Mais jamais elle ne reviendra à Naples. Amoureuse du même garçon – un humain – depuis sa première année de cours, ils ont filé le parfait amour et enchainé les projets à deux, si vite que dès qu'il eut terminé ses cours, ils se marièrent pour ne pas perdre de temps. On lui avait volé la fin de son enfance, une partie de sa jeunesse. Elle, tout ce qu'elle voulait à présent, c'était ne plus perdre de temps pour rien. Vivre, avancer, courir en savourant chaque instant comme si c'était le dernier. Parce que même si les lois semblaient offrir aux humains un environnement sûr dans lequel vivre, elle sait que les lois sont faites pour être enfreintes, et que l'harmonie n'existe que sur le papier. Pour autant, Claudia ne dénigre personne, elle évite certaines créatures, mais elle ne pose pas de limites quant-à l'amitié, avec qui ou qui. La jeune femme laisse une chance à ceux qui lui tendent la main, dans la mesure du raisonnable. Elle ne veut pas complètement se fermer aux autres, voir comment se profile cette nouvelle société qu'elle a tant voulu déserter.
Alors ils se sont unis, pour le meilleur et pour le pire. Les projets d'enfants ne leur plaisaient guère. Claudia, elle n'a plus foi en l'avenir, elle a peur sans le montrer forcément, mais sa peur lui sert à être lucide. Avoir un enfant aujourd'hui, c'est poser un être de plus sur l'échiquier de la guerre silencieuse, et elle ne le supporterait pas. Elle lui a donc proposé de mettre sa bribe d'idée en œuvre, idée qu'ils mettraient en place tous les deux. Leur entreprise, leur bébé qui ne craindra jamais les espèces quelles qu'elles soient. Elle était la décidante, et lui celui qui approuvait. Complémentaires, toujours unis, comme s'ils n'étaient plus faits pour vivre seuls l'un sans l'autre.


Durant toute une journée, elle est restée figée, à fixer la photo de l'inauguration de la Vaccaro Servizi Investigativi. Elle n'arrive pas à sourire à la pensée de ce moment. Elle n'arrive pas à non plus à pleurer à la pensée du corps qu'elle a laissé recouvrir d'un drap mortuaire, Luce, le visage à demi reconnaissable. La nuit est tombée sur son chagrin, les ténèbres vinrent s'emparer d'elle comme pour la posséder, la pousser à la folie. Finalement, elle arrive à laisser les larmes glisser sur ses joues, avant de commencer à jeter le cadre contenant la dite photographie contre le mur. Puis le pot de stylos, son téléphone portable, tout ce qui a le malheur de lui tomber sous la main. Elle craque, ses nerfs lâchent, parce qu'elle a renfermé bien trop longtemps la douleur qui implose au fond de son cœur. Et elle a mal, si mal qu'il faut que cette douleur disparaisse. « Pourquoi ! » qu'elle exclame, alors que ses mains agrippent tout ce qu'elles peuvent trouver. Valeur ou pas, il n'y a plus rien qui en ait sur l'instant. Le geste final la ramène à la raison. Une chaise de bureau dans la vitre, et sa main qui heurte violemment le verre brisé qui tenait encore debout. Cette fois, l'espace d'une seconde, son cœur semble avoir eu un répits, la douleur physique ayant prit le relais. Pas assez longtemps.
Cela faisait déjà deux mois que son époux avait disparu. Le premier réel échec de son entreprise, fut de ne pas le trouver vivant, mais bel et bien mort. La faute à qui ? La liaison est impossible à nier, la morsure qui se trouve sur sa dépouille l'atteste. Il s'agit d'un vampire. Ils auraient du partir, toute ces fois où ils parlaient de s'enfuir, de tout laisser tomber sur un coup de tête pour aller dans un endroit plus calme et reculé de la civilisation de toute espèce, mais Claudia avait préféré le risque à l'assurance, et elle en payait le prix fort.
Son cœur est à tout jamais anéanti, mais son esprit de vengence lui souffle qu'il n'y aura pas que le sien qui le sera.


Elle est à demi saoule lorsqu'elle attaque un homme qui tente une approche séductrice auprès d'elle. Pour elle, il s'agit d'une créature obscure, son esprit embrumé par l'alcool n'en a pas le moindre doute. Verbalement d'abord, elle se lance dans un discours violent de mots racistes envers les nons-humains, et finit par se lancer littéralement sur l'homme, empêchée par un intru qui s'immisce dans ce qui ne le regarde pas. Il la fait sortir du bar, lui programme une rencontre quand elle aura dessaoulé, et les choses se font d'elles-même. Sans même avoir voulu s'allier à d'autres, elle s'est retrouvée être le membre d'une organisation dont elle ne connaissait pas même le noms auparavant. Et pour cause. Il y a trop peu de temps qu'elle fut créée pour être reconnue. Convictions partagées, elle devient vite une personne de confiance, ou du moins, de manière plus récente. Aujourd'hui, elle est de ceux qui tendent l'oreille vers le peuple lambda, pour dénicher ceux qui deviendront des atouts pour leur cause, et même plus, des personnes sur qui compter.


Elle aura finalement choisi la solitude. Pour ne pas souffrir encore, pour ne plus avoir le risque de perdre personne. Son frère est toujours là, sain et sauf, ou du moins, presque. L'épidémie ne l'a pas laissé indemne. A croire qu'elle a emporté son âme en sortant de son corps. Toujours est-il que qui qu'ils soit, que la folie le guette ou non, il est la personne qui compte le plus dans sa vie, suivi de près de certaines personnes de l'organisation. Seule contre tous. Et pourtant, elle semble épanouïe Claudia, avec ses grands sourires, son apparence joviale et les mains tendus qu'elle offre aux uns et aux autres. La haine se cache bien mieux qu'elle ne l'aurait imaginée par le passé. Ou est-ce simplement l'espoir de voir un jour s'accomplir le but ultime qui rende cette couverture plus réelle.