« Varangr, merci infiniment de nous apporter ton aide. Je ne sais pas ce qu’ils ont tous ce soir, mais c’est un véritable raz-de-marée. » Le chef de service à la mine déconfite de fatigue, sa blouse froissée témoigne trop bien des allées et venues qu’il doit effectuer au pas de course depuis sa prise de poste il y a surement trop d’heures.
« Mais je t’en prie Fonzi, c’est toujours un plaisir de venir faire un tour aux urgences. » Elle le gratifie en prime d’une large tape sur l’épaule tout en terminant la tresse dans laquelle elle emprisonne sa chevelure d’or. Dehors les dernières lueurs du jour se perdent dans un florilège de nuages sombres tandis que contre les fenêtres et sur les toits du bâtiment résonne le martellement de la pluie diluvienne qui noie les rues de Rome. Une météo qui joue sans doute beaucoup au nombre de patients qui se pressent dans la salle d’attente. Une plaie pour beaucoup, une aubaine pour Idunn qui peut s’aventurer dans les couloirs des urgences sans craindre une rencontre fortuite avec le moindre rayon du soleil couchant.
A peine elle pousse la porte de l’accueil que le brouhaha assourdissant général lui saute aux oreilles et cela la fait sourire doucement. Elle se souvient des années précédentes où elles étaient titulaires dans ces locaux et ce souvenir ne peut que la rendre nostalgique. Bien qu’aujourd’hui elle est bien heureuse Idunn d’avoir son propre bureau dans les étages souterrains du bâtiment, à l’abri du soleil et de l’agitation de la surface, elle ne peut s’empêcher de songer avec sympathie à cette période de sa vie de médecin. C’est sans doute la raison pour laquelle elle ne manque jamais de répondre à l’appel des urgentistes dépassés quand elle peut se détacher de son propre service. Les regards se croisent, certains l’évitent sans que cela l’offusque, d’autres expriment le soulagement. Un soutien de plus ce n’est pas grand-chose pourrait-on croire, mais c’est toujours mieux que rien. Aussitôt un infirmier s’approche et dépose une pile de dossier dans ses bras tendus non sans un soupire de remerciement.
« La salle 6 est libre, vous pouvez vous installer-là Docteur pour vos consultations. » Et il repart aussitôt, au son du bippers incessant qui vibre à sa ceinture.
Quarante minutes plus tard Idunn sent que la nuit promet d’être longue. Entre consultations banales qui pourraient attendre le lendemain et le médecin généraliste du patient et les cas plus urgents qui nécessitent opérations et prises en charges plus lourdes, elle essaie de ne pas se laisser trop déborder, cherchant le plus souvent une solution alternative, sachant pertinemment que les blocs opératoires sont aussi surchargés que la salle d’attente. A peine sa dernière consultation renvoyée chez elle avec un plâtre au poignet, Idunn est debout dans l’encadrement de la porte appelant son dossier suivant
« Lupenilli. ». Elle a à peine regardé le visage de la jeune femme qui s’est levé à l’appel de son nom, tournant déjà les talons pour prendre le chemin de sa salle de consultations pour la soirée. Ce n’est qu’arrivée dans cette dernière qu’elle remarque la réticence qui dégouline du visage de sa patiente. Elle connait ses regards Idunn. Elle y est exposée tous les jours à l’hôpital. Elle connait ce recul, ces yeux qui scrutent et ces lueurs entre haine et colère qui luisent dans les iris. Un soupire s’échappe des lèvres de la vampire qui n’a pas le temps de prendre des pincettes. Pas ce soir.
« Ecoutez-moi, mademoiselle…Lupenili. » Dit-elle d’une voix ferme, presque dure en jetant un coup d’œil au dossier pour être sûre de ne pas écorcher le nom de la personne en face d’elle.
« Les urgences sont bondées ce soir, soit vous entrez dans cette salle et vous me laissez vous examiner. Soit je remets immédiatement votre dossier dans la pile des patients en attente et vous retournez dans la salle d’attente en espérant qu’un autre médecin puisse se libérer d’ici cinq ou six heures. » Son regard océan nordique transperce celui de la jeune femme en attendant qu’elle prenne sa décision. Quand cette dernière semble enfin accepter non sans rechigner de passer le seuil de la porte les traits de la viking s’adoucisse légèrement.
« Bien, montrez-moi cette jambe. Que vous est-il arrivé ? Une blessure domestique un accident ? » Les doigts gantés de latex de la vampire commencent rapidement leurs examens de la blessure dont l’aspect intrigue rapidement le cerveau expérimenté de la blonde. Son regard perçant remonte une nouvelle fois vers le visage de sa patiente, cette fois véritablement intrigué
« Eh bien on peut dire que cela n’a rien d’ordinaire en tout cas. Je ne vous demande pas de me raconter votre vie, mais si vous pouviez me donner des détails sur les circonstances, je pourrais au moins essayer de vous soigner le plus efficacement possible. » Mais Idunn n’a pas le temps de poser d’autres questions, encore moins d’examiner plus attentivement les marques laissées sur la jambe de sa patiente. D’un seul coup toutes les lumières se sont éteintes, plongeant la salle 6 dans une obscurité complète. Seul le son de la pluie contre la vitre aux volets fermés trouble les secondes de silence qui viennent de s’installer. Dans sa poitrine le cœur de la vampire s’est arrêté, son souffle en suspend écoute attentivement et ses sens immédiatement mis en alerte ne tardent pas à sentir la présence démoniaque qui s’infiltre dans les couloirs de l’hôpital.
« Skit. » Elle jure Idunn, dans sa langue maternelle. Elle peste contre l’arrivée improbable de démons dans ce lieu bondé d’âmes innocentes. D’un geste rapide elle se glisse vers la porte qu’elle ouvre d’un geste sec, apercevant clairement les silhouettes sombres qui se dirigent rapidement vers elles.
« Et en plus elles viennent par ici » Marmonne Idunn tout en agrippant le bras de sa patiente pour la faire sortir de la salle avec elle. Dans un cas comme celui-ci, inutile de s’enfermer dans un espace clos sans espoir de sortie. Mais au lieu de saisir le bras de la jeune femme, la vampire referme ses doigts toujours gantés sur le mat en fer de la panoplie de perfusion placée juste à côté. Surprise par la légèreté de l’objet comparée à celle d’une personne humaine, elle est déstabilisée la vampire, si bien que dans son élan elle manque de s’écrouler de tout son long sur le carrelage froid du couloir et dans sa chute sa natte s’accroche à a poignet de la porte, arrachant au passage une large mèche de cheveux dorés.
Quand Idunn se relève, ses iris ont perdu toute douceur. Seuls restent la colère, la rage et un feu de haine. C’est cet éclat que rencontrent les démons qui fondent déjà sur elles dans l’obscurité générale.
© Artchie