LA NAISSANCE. La ville toute entière était recouverte d’un voile de fumée, provoqué par les feux de forêt qui s’étendaient sur le territoire. La chaleur caniculaire rendait l’air de la maison lourd à respirer et les médecins se refusaient d’ouvrir les fenêtres pour ne pas que le futur nouveau-né respire l’air pollué. Une grossesse difficile disait-il, avec un bébé fragile qui allait naître deux mois trop tôt. Elle s’inquiétait la mère, qui n’arrivait plus à souffrir des contractions en silence, elle se demandait comment son bébé allait naître et s’il allait trouver une place dans ce monde où il fallait être meilleur que les autres. Les hurlements s’intensifiaient alors que le père, toujours absent parce qu’envoyé en mission, ne reviendrait jamais. La femme, du nom de Tatiana, s’allongeant finalement sur le lit, surveillée par les deux médecins à son chevet. La naissance d’un chasseur d’ombre, quel que soit son état, était toujours un grand événement. La jeune femme poussa un dernier cri de douleur avant que celui-ci soit remplacé par les hurlements d’un bébé, qui s’arrêtèrent aussi rapidement qu’ils avaient commencé. Elle ne pouvait que l’apercevoir, cet enfant si petit qui soudainement avait cessé de bouger. « Que se passe-t-il ? » Demanda la mère paniquée, alors que personne ne répondait. Les médecins écoutaient à peine, s’afférant près du nouveau-né. « Pourquoi est-elle si silencieuse ? Répondez-moi. Donnez-moi mon bébé ! » S’agita-t-elle, une inquiétude peçante dans la voix. Elle voulut se lever lorsque quelqu’un l’en empêcha et parce qu’elle n’arrivait pas à se calmer, ils furent obliger de l’endormir, emmenant l’enfant dans la pièce d’à côté. Le brouillard s’empara de son esprit, aussi épais que celui à l’extérieur. Le père de l’enfant n’était toujours pas là, il avait donné son dernier souffle en même temps que sa famille avait donné son premier. Une tragédie bien trop courante chez les chasseurs d’ombres. Ce n’est que plusieurs heures plus tard, lorsque la mère se réveilla, qu’on lui déposa son enfant dans les bras. Le bébé paraissait fragile, elle voyait bien qu’on lui administrer des traitements. La mère leva des yeux interrogateurs vers les médecins, ne comprenant pas ce qu’il se passait. « Votre enfant ira bien. Elle est née avec une maladie peu courante chez les chasseurs d’ombres. Le diabète ne sera pas un handicap pour elle. Sa seconde vue sera certainement retardée parce que son corps devra combattre avec les traitements qu’on lui donnera. Elle suivra ensuite un entraînement spécial avant qu’on lui dépose une rune lui permettant de guérir. Lorsqu’elle aura répondu positivement, nous pourrons lui administrer la rune de la seconde vue et elle deviendra un chasseur d’ombre comme les autres. Ne vous inquiétez pas. » Expliqua le médecin, doucement pour ne pas brusquer la jeune mère. « Comment fonctionne cette rune de guérison ? Je suppose que c’est une forme complexe qu’on ne rencontre pas souvent. » Demanda la mère, plus inquiète pour la santé de sa fille que pour son avenir de chasseur d’ombre. « Nous ne pouvons pas lui administrer avant ses douze ans. Le corps doit être assez fort. Ce sera la première rune qu’elle apprendra. C’est une rune permanente mais le processus est extrêmement douloureux. Elle devra prendre ces pilules chaque jour, l’insuline du monde des humains suffira à aider tant que sa rune est active, si par malheur elle vient à manquer de pilule à cause de la guerre. » Le médecin fit une pause, avant de fixer la mère. « C’est le début qui est dur. Avec notre médecine, votre fille ne mourra pas du diabète, elle ne sera qu’affaiblit par moment. Les runes sont suffisamment puissantes. » Le silence s’installa dans la pièce. La mère regarda sa petite fille tendrement. « Je veux l’appeler Louise. »

LES RUNES. Elle avala sa pilule de la journée en observant les enfants Herondale s’entrainer au combat, au dehors. Louise, elle voulait être comme les autres chasseurs d’ombres en devenir : apprendre à se battre, s’essouffler à en perdre presque la respiration dans une course à la vitesse et manger ensuite autant de sucrerie qu’elle le voulait. Ses entraînements étaient limités, pas seulement à cause de sa fragilité mais aussi parce que sa seconde vue n’était pas développée correctement. Cela pouvait être dangereux. C’était une de ces périodes où ses pilules manquaient et ils étaient obligés de réduire les quantités. Sa mère et son père adoptif, Simon, avaient pris la décision de ne pas se rendre en ville pour voler de l’insuline. C’était un risque trop grand alors qu’elle recevrait la marque très prochainement ; dès qu’un spécialiste pourrait se déplacer pour la lui poser. Pour cette raison, elle ne s’entrainait pas avec les autres mais seule. Louise était habituée à cette alternance. La jeune fille se tenait à la fenêtre pensive, à penser à son futur, se demandant si elle serait toujours forcée de survivre et de voler des médicaments pour sa survie. Parfois elle avait peur que cette personne miraculeuse n’arrive jamais. Déjà plus mature que les autres, Louise réfléchissait aux stratégies qui permettaient de survivre. Elle aimait parler tactique avec son beau-père, c’était comme si leur lien était réellement celui du sang, ils se comprenaient. Une longue silhouette s’avança brusquement dans l’allée. L’allure était rapide, son visage masqué par un capuchon, comme si un message devait être transmis le plus rapidement possible et dans la plus grande discrétion. Sa mère attrapa son arme et se leva brusquement, pendant que Louise patientait avec les autres dans la cuisine. « Ils ont localisé l’emplacement d’un frère silencieux. Cet homme part avec Louise et moi, immédiatement. Tu recevras la rune de guérison dans la soirée et nous devrons quitter les lieux tout de suite après. » Annonça Tatiana alors que tout le monde s’afférait pour préparer les affaires. « On nous a trouvé un endroit où se cacher pendant deux jours. Louise aura besoin de dormir, elle ne sera pas en état de voyager. » Expliqua sa mère à Simon, pendant que Louise observait les adieux avec un pincement au cœur. Elle se sentait si coupable à douze ans seulement, de mettre en danger sa famille. Tout s’était déroulé tellement rapidement. Elle se souvient avoir été effrayée de cet homme au visage scellé puis la douleur lui avait fait perdre connaissance.
Dix-sept ans, c’était tard pour devenir officiellement chasseur d’ombre. Les chasseurs d’ombres qu’elle cotoyait, cela faisait longtemps qu’ils l’étaient. Sa mère disait que l’âge moyen était entre douze et vingt ans et que malgré sa maladie, Louise avait su montrer ses talents. Seulement, elle savait que ce n’était pas vrai. La cérémonie se fit dans les souterrains du colisée, où ils avaient enfin pu rejoindre d’autres chasseurs d’ombres, où ils vivaient enfin parmi les leurs. Sa marque de voyance, à cause de sa seconde vue retardée, avait été améliorée et Louise se sentait presque normal à présent. Elle avait encore sa place à trouver dans ce monte pas vraiment fait pour elle. Comme à son habitude, elle ne parlait pas beaucoup Louise, elle observait.


LES SOUTERRAINS DU COLISEE. Le pire de toutes ces années a certainement été l’épidémie. Louise vient juste de connaître ces temps de troubles. Si jeune, elle a déjà vu des amis ou des membres de la famille revenir en mauvais état, le corps abîmé par les tortures. Tous ont blâmé les chasseurs d’ombres pour cette maladie ravageuse. Louis, elle avala sa pilule dans un excès de colère avant de repartir vers le centre du camp de base. Bordel. Elle en avait marre d’être enfermée. Elle en avait marre d’être regardé de travers parce qu’elle n’était pas aussi utile que les autres. Sa mère lui disait qu’elle était si intelligente que si la guerre n’avait pas eu lieu, elle aurait pu être à la tête d’un institut. La force n’était pas seulement physique mais mentale et Louise, elle l’oubliait bien souvent se sentant complètement inutile. Louise déambulait dans les couloirs sombres des souterrains du colisée, perdue dans ses pensées, elle ne réalisa pas qu’elle était suivie. « Tu as refusé. Putain Louise, je t’ai toujours soutenu moi. J’étais là quand les autres pensaient que tu serais qu’un poids. » Dit la personne en face d’elle. Louise se retourna, ses yeux perçants, attentifs à tous les détails, toisa la scène comme si elle l’observait de l’extérieure. « Tu connais les raisons. Personne ne doit porter ce fardeau avec moi. Ce serait un risque inutile et un acte égoïste. » Dit-elle, sèche, sincère, un peu trop. La personne s’énerva, frappant dans le mur. Elle savait, Louise, elle savait la blessure que cela provoquait de se voir refuser en tant que parabataï. Pour tellement de raisons, elle ne pouvait pas le devenir. « Arrête ! Merde, Louise. On est ensemble presque depuis qu’on est né. Même sans ça, tu es tout pour moi. C’était évident et tu as tout foutu en l’air pour faire ta petite victime encore une fois. » La jeune Lovelace retint les mots avec difficultés. Elle comprenait l’énervement, elle comprenait la déception. Cette personne était tout pour elle aussi, un peu trop. C’est vrai, ce n’était pas que parce qu’elle était malade. C’était égoïste. Elle supportait plus de le regarder, même pas flirter avec d’autres filles alors quand tout le monde avait voulu les lier, persuadés qu’ils étaient faits pour parabataï elle avait refusé. Louise, elle avait la parfaite excuse. « Tu réponds pas. Tu refuses. Tu m’évites. Maintenant tu fais comme si je n’existais pas. Tu disais toujours que t’en avais marre qu’on te prenne en pitié. Ce n’est pas comme ça que tu vas réussir, Louise ! » Dit-il en s’énervant, la bousculant au passage pour partir rejoindre d’autres chasseurs d’ombres. « Justement, j’ai pas besoin de toi pour prouver ma valeur. T’as rien compris, encore une fois ! » S’énerva la jeune fille. Un dernier regard haineux, avant qu’il disparaisse dans les ténèbres des souterrains.