Je me débats contre l’air, le vide. Je ne sens rien sous mes bras qui s’agitent ou sous mon corps qui se tourne et se retourne. Ma tête est remplie de souvenirs douloureux… et cela commence toujours de la même façon. Je suis jeune, j’ai environ 6 ans, le ciel est nuageux. Les gens commencent à fuir, ma grand-mère se bat. Elle nous fait sortir de l’institut et elle reste derrière. «C’est de ta faute Athena, si elle est morte» j’entends à plusieurs reprises. «Si ce n’était pas de toi, toi qui l’as ralenti… parce que tu avais oublié ton ourson en peluche, elle serait encore en vie.» Je me retourne à nouveau dans mon lit, cette fois avec la sueur qui perle mon front. L’image dans ma tête change. Je suis à Rome, j’ai grandi, je dois avoir environ 18 ans, Skye et moi devenons enfin parabataï après toutes ces années. Nous nous entraînons, nous ne nous laissons aucune chance. Jamais nous ne nous diminuons notre force pour nous accommoder à l’autre. On s’amuse, on rit, on redevient sérieuses et puis cette voix de nouveau qui s’incruste dans ma tête : «Tu seras sa perte Athena. Tu es si faible… Toi qui a failli mourir…» La voix fait référence à ce moment effrayant où la torture envahissait mon corps. Où ce liquide infâme avait pénétré mon organisme sans crier gare. La voix avait raison sur un point, j’aurais pu causer la fin de Skye. Je me débats de nouveau, laissant mes bras s’agiter dans tous les sens. Cette fois, on me retient, on me demande de me réveiller. Je n’y arrive pas. Peu importe le nombre d’efforts que je peux y mettre, mes yeux restent clos. La scène change, Skye n’est plus là. Je suis au QG, Cameron est devant moi. Je le regarde et pourtant personne ne semble me remarquer. J’avance doucement dans sa direction et frôle son épaule. Rien, rien du tout. Il ne se retourne pas, il continue son chemin. Je n’existe pas, je suis invisible. La vie continue son cours, mais je n’en fais pas partie. «Tu vois… tu es insignifiante, tu ne représentes rien pour eux. Ton existence n’a aucune importance.» Puis soudain, je me réveille, poignets dans les mains de celui que j’aime. Il est là, il me voit, il me berce. Son amour m’entoure et me remplit. Un soulagement se fait entendre de ma bouche. Mon corps en sueur, je me cale contre son torse ferme. «Je suis désolée Cameron… Je te réveille ainsi tous les jours depuis…» Il me fait signe de me taire que cela ne le dérange pas. Il mentionne que je dois prendre le temps de me remettre sur pied. Mais il sait que c’est frustrant pour moi. Il sait que j’aimerais pouvoir redevenir celle que j’étais avant. Que tout ce cirque de peur ne devrait pas faire partie de moi. Il m’accepte ainsi, il m’accepte dans tous mes changements. Même si cela a fait de moi quelqu’un de plus protecteur, de sage, de vigilant. «Tu apprendras à apprécier ce que tu es devenue Athena, tu accepteras le fait que tu es plus forte de jour en jour. Tu accepteras tous ces sentiments néfastes que tu as ressentis lors de ta capture, tu les assimileras et tu les utiliseras en force. Car c’est ce que tu es.»

Je m’engouffre dans ses bras, je ne bouge plus. J’essaie d’oublier les images horribles qui viennent de défiler. Je remplace peu à peu celles-ci par celles qui me font plaisir, voire ma famille ensemble, unie. Ghislain qui tente de m’aider ou son caractère si différent du mien… Ou encore voir Ariane sourie, si semblable toutes les deux, mais si différentes à la fois. Je remplace ces images par des souvenirs heureux, significatifs. La cérémonie de parabataï par exemple où Skye et moi on s’est unies, enfin maintenant on a plus aucune raison de dire que nous ne nous complétons pas. Ma respiration reprend son cours normal, lente et assumée. Je repense également à mes deux pères qui m’ont accueilli lorsque j’avais trois ans. Je me rappelle vaguement ce qui est arrivé à mes parents, du moins… peut-être ce qu’on m’en a dit… Des loups-garous. Je chasse cette idée de ma tête en me remémorant la fois où je les ai appelés papas pour la 1ere fois. C’était peu avant la révélation du monde obscure et la débâcle de l’enclave. Trois ans, avant de leur dire, trois ans de blocage qu’ils disaient émotionnel. Mais suite à ce mot, si simple et doux, je me rappelle avoir ressenti une certaine paix intérieure. Je faisais maintenant réellement partie de cette famille. «Tu te remémores tes parents n’est-ce pas?» dit Cameron. Je le regarde en ne pouvant m’empêcher de sourire. Il me connaissait si bien. « C’est mieux que… de se rappeler la brigade nocturne et les aiguilles horribles qu’ils utilisaient non?» Il me regarde soucieux, je savais qu’il voulait me poser la fameuse question. «Tu ne m’as jamais réellement parlé de ce qui s’est réellement passé. Tu sais que je ne te forcerai jamais à le faire, mais tu dois pouvoir en parler à quelqu’un.» Les doutes m’envahirent. Il est vrai que je n’en parle que… lorsque je suis obligée de le faire. Je prends une grande respiration pour me recentrer sur l’homme que j’aime. «Tu peux t’imaginer un hôpital qui effectue des tests cliniques sur une personne? Avec un protocole à suivre? Oublie tout ça, c’était complètement le contraire. Comprendre ce qui fait de nous des immunes n’est pas chose simple. Des seringues, des injections, des prises de sang… Et je ne crois pas qu’ils savaient ce qu’ils nous donnaient réellement. Je me rappelle avoir crier, de m’être débattue… d’avoir l’envie atroce de m’évader. Au début j’étais forte, je ne me laissais pas faire. Mais au fur et à mesure que la torture avançait, plus je m’affaiblissais. La dernière injection a failli me tuer. J’ai senti mon lien avec Skye s’évaporer tranquillement. Comme si on arrachait une partie de mon cœur, tu vois. Elle l’a sans doute ressenti aussi. Sans son aide… Je n’aurais pas pu m’échapper. Bon d’accord, grâce aux Grimaldi aussi, mais c’est en la voyant elle, en vie… que j’ai repris le maximum de force.» Je m’arrête un instant pour le scruter. J’essaie de voir son ressenti face à tout cela. Je sais bien qu’à l’intérieur de lui, son sang bout, qu’il voudrait en chopper plus d’un… Mais il ne le montre pas, tout ce que je vois est sa naturelle compassion. « Mais elle et moi… ce n’est plus comme avant, il y a quelque chose qui cloche, je le sens. Quelque chose qui nous maintient à une certaine distance l’une de l’autre. Un secret peut-être… Je n’en sais rien…» Je pose ma tête sur son épaule écoutant son cœur battre. Il semble posé, soucieux, mais avec un peu de sérénité. Surement parce que je me suis enfin un peu ouverte sur le sujet. «Le lien que tu as avec Skye ne pourra jamais se ternir, il suffit peut-être de communiquer avec elle sur ce que tu ressens présentement. Ou bien… arrêter de vouloir absolument la ralentir. Si elle a besoin de ces missions pour remonter la pente, alors laisse-la faire. Reste simplement à sa disposition si elle a besoin de parler. Protège-la, mais laisse-lui sa liberté d’agir. Je sais que tu en es capable déesse.»