Par une belle nuit d'été elle n'a pas vu le jour, mais sous les eaux troubles d'une pluie battante début novembre. Ariane du Boisjoli, ce prénom aux consonances si douces qui contrastaient parfaitement avec l'ambiance qui régnait le jour de sa naissance, et avec son futur caractère. Ariane et sa soeur Circé ont donc vécu une bonne partie de leur vie sous le patronyme des Boisjoli. Une famille de néphilims français, peu connus car ils avaient perdus une grande partie de leur arbre généalogique dans les combats, et que peu d'entre eux avaient des enfants. Allez savoir pourquoi... Ils étaient pourtant de redoutables adversaires, des chasseurs d'ombre qui excellaient dans le combat même si leurs connaissances en matière d'histoire et de runes pouvaient leur faire défaut. Bien vite Ariane trouva sa place dans cette famille où elle était comme l'enfant parfaite tandis que Circé peinait à se faire une place. Elles étaient sans arrêt mises en compétition ce qui les poussaient à se dépasser toujours, mais aussi à développer une forme de rivalité l'une envers l'autre. Le changement de mode de vie entre l'avant révélation, et l'après, révélation du monde obscur, ne perturba pas le moins du monde la jeune néphilims. Âgée de quatre ans à peine, son cadre de vie n'avait pas encore été posé, elle ne cherchait pas de repère dans le monde, elle n'avait pas d'habitudes particulières autres que celles de manger, dormir et se promener, sans oublier attirer l'attention de ses parents et tirer les cheveux de sa soeur. Elle a donc grandi dans un univers où les néphilims n'étaient pas rois mais plutôt condamnés à se cacher pour ne pas subir la colère et la vengeance des créatures obscures. Ses parents pour autant ne cessèrent jamais de se battre. Ils ont éduqué leurs deux filles selon les principes qui étaient les leurs, leur apprenant à être de féroces combattantes (avec plus ou moins de succès), et leur inculquant les valeurs de leur famille. Ariane était chez les Boisjoli comme un poisson dans l'eau, se sentant dans son élément à deux cent pour cent. Seul bémol à cette existence idyllique, son amour pour les femmes. Les Boisjoli étaient réticents au mariage homosexuel chez les néphilims, et à toute forme de relation entre deux femmes. Alors quand leur fille en rentrant de l'école répondit à la question "As tu un amoureux ma chérie ?" par "Non maman j'ai une amoureuse, elle s'appelle Cassandre", ils prirent peur sans raison de l'être puisque leur fille n'était encore qu'une enfant, mais la réprimandèrent pendant des semaines, et formatèrent la jeune enfant pour qu'elle se trouve un amoureux plutôt qu'une amoureuse, chose qui attrista fortement Ariane et où Circé était contente puisqu'enfin elle brillait aux yeux de ses parents, ayant elle, un amoureux. Chose qui d'ailleurs n'avait pas de sens, car les enfants ne connaissent pas la réelle signification du terme amoureux.

Tous les ans depuis leur 7 ans, les parents du Boisjoli avaient décidé d'emmener leurs filles sur le terrain. Leur devise ? Plus vite on s'y fait, mieux on est préparé. Ariane avait donc l'habitude de suivre ses parents une à deux fois par an, voire de plus en plus fréquemment, lors de leurs chasses. C'est à l'âge de ses dix ans que l'une d'entre elle tourna mal pour la famille du Boisjoli. Ils étaient à la poursuite d'un loup garou solitaire, mais leur erreur fut de le laisser les guider où bon lui semblait. Ils tombèrent dans un traquenard tendu par les loups, et finalement le loup solitaire ne s'avéra pas si seul... Ariane et Circé, comme toujours lorsqu'elles suivaient les chasses de leur parents, devaient rester à une certaine distance de la zone de combat, afin d'apprendre seulement en regardant. Ce qu'elles apprirent en assistant au massacre, les transforma à jamais, et l'horreur de la scène scella à jamais le coeur de pierre d'Ariane. Elle vit les corps de ses parents être déchiquetés et démembrés sous les coups de dent des loups, trop terrorisée pour savoir quoi faire, trop effrayée pour crier, elle s'était contentée de serrer la main de Circé très fort dans la sienne, comprenant que désormais ce ne seraient plus qu'elle deux contre le monde.


Après l'horreur face à la mort, il y a la solitude complète. Elle emplit chacun des recoins de sa vie, elle ne sait plus comment lui échapper. Chaque chose, chaque mouvement qu'elle fait : se lever le matin, prendre un petit déjeuner, regarder tout autour d'elle, tout lui semble différent, comme si cela n'avait plus de sens. 10 ans. Son deuil elle ne sait pas encore comment le faire. On l'a placée dans un orphelinat avec sa soeur qu'elle ne quitte plus : c'est à la fois douloureux de la voir ça lui rappelle sa vie d'avant, celle qu'elle n'aura plus jamais, mais c'est aussi rassurant, car elle sait qu'une autre âme l'accompagne partout où elle va. Les murs de l'orphelinat sont ternes, la nourriture n'est pas bien bonne mais elle se fiche de tout, la vie n'a plus de goût. Elle ne relativise pas : les autres enfants sont plus jeunes, globalement, ils ont tous perdus leur parent... Officiellement, les siens sont morts en tombant d'une falaise lors d'une randonnée : elle ne peut ôter de son esprit l'image des griffes qui lacèrent la chair.

Combien de temps elle y est restée ? Cela restera une parenthèse de sa vie, comme un passage entre deux mondes, entre deux vies bien distinctes et pourtant si liées. Ce fut l'affaire de quelques mois. Les néphilims à Paris restaient très soudés entre eux, et il n'était un secret pour personne que les deux petites jumelles du Boisjoli étaient coincées dans un orphelinat avec des terrestres parce qu'on avait pas su où les mettre. C'était un jour de printemps, alors qu'Ariane jouait aux cartes seule tandis que sa soeur lisait un livre, un Hugo, elle s'en souvient, qu'ils sont rentrés. C'était deux hommes adultes, à l'apparence chaleureuse, au sourire réconfortant, et qui la regardaient. Au début elle ne les vit pas, puis elle sentit le regard insistant de quelqu'un posé sur elle, et levant ses yeux verts sur l'intéressé, elle donna un coup de coude à sa soeur pour la sortir de son livre. Elles n'étaient plus personne.


De deux orphelines incomprises, elles passèrent à une famille de six : deux pères, deux frères et soeurs, et un cadre de vie bien différent de celui qu'elles connaissaient jusqu'alors. Partout où les Boisjoli excellaient, les Verlac étaient moins bons. A l'inverse, là où l'intelligence faisait défaut chez les premiers, les seconds apparaissaient comme des érudits. Et la compétition reprit... Cette fois ce n'était plus elle qui était sous les feux des projecteurs dans la famille, plutôt Circé, avec son intelligence et son cerveau hors norme, capable d'enregistrer la moindre information en quelques minutes. Où étaient les intenses entraînements au combat, la sueur et l'adrénaline ? Morts avec ses parents. Ariane mit du temps à s'acclimater à sa nouvelle famille. Aujourd'hui encore elle ne s'y sent pas complètement à sa place, bien qu'elle entretienne une relation très forte avec Nicolas, son père, étant donné qu'eux, contrairement à son ancienne famille, l'acceptent telle qu'elle est. Son éducation tardive dans la famille des Verlac joue pour beaucoup dans le fait qu'elle n'est pas une Verlac comme une autre : elle ne porte pas leur marque de fabrique, et se sent parfois plus que seule. Quitter Paris a été facile pour Ariane, qui ne voyait dans cette ville que le lieu de la mort de ses parents et d'une vie révolue, elle s'accommode bien de Rome à l'inverse.