J’avais à peine pénétré dans l’enceinte du château que j’avais regretté d’avoir cédé à Hadrian en acceptant son fichu bout de papier. Enfin je suppose que c’était lui qui avait laissé l’invitation à la soirée dans mon casier. J’imaginais mal Onyx m’y inviter et les clients n’avaient pas accès à cette partie du Château. Je ne savais toujours pas pourquoi j’y avais cédé. Je n’avais rien à faire ici. Mais lorsque j’avais lu le carton, les murmures dans ma tête s’étaient tus. Brièvement. Mais le silence était si rare, si paisible… J’avais voulu y voir un bon présage. Un encouragement. Alors j’avais fouillé dans mes tiroirs jusqu’à en sortir une robe qui pourrait convenir à ce genre de soirée. Malheureusement les célébrations luxueuses n’avait jamais fait partie de mon quotidien, j’avais malgré tout fini par dénicher une robe de cocktail verte, qui avait le double avantage d’être passe-partout et de mettre ma chevelure en valeur. Je pensais que cette robe suffirait à ne pas me faire remarquer mais j’avais vite déchantée lorsqu’en entrant dans le château des anges, j’avais eu un aperçu des tenues des autres… De l’étalage de tissus précieux et des cailloux brillants que ces dames arboraient alors que les hommes se distinguaient par une élégance distinguée. J’aurais pu parier qu’un seul de leurs boutons de manchettes aurait suffit à me nourrir pendant plusieurs mois. Les voix s’étaient faites caressantes dans ma tête, comme si elles se réjouissaient d’être ici. Je frissonnais parfois lorsque j’essayais de déterminer ce qu’elles voyaient, ce qu’elles comprenaient… Il allait bientôt falloir que je retourne voir Vaszjr, il avait presque réussi à les endormir la dernière fois… Peut être qu’il pourrait le faire encore.

Autour de mois les gens bavardaient, riaient, tous semblaient se connaître. Ils venaient tous du même monde. Je faisais définitivement tapisserie. Longeant les murs je parvins à intercepter un serveurs pour lui récupérer une coupe de champagne. Le liquide pétillait contre ma langue, peut être qu’il me donnerait du courage également. Je me cachais près d’une fenêtre, observant à la fois les gens dans le parc éclairé et les groupes qui se formaient petit à petit, cherchant désespérément un visage familier dans la foule. Sur la piste de danse j’aperçus brièvement Onyx et Olympe dansant ensemble, ils semblaient si proche l’un de l’autre que mon coeur se serra. J’aimerais connaître ça un jour. Cette confiance totale qu’ils avaient l’un en l’autre. Ils illuminaient littéralement la piste de danse, je n’arrivais pas à détacher mon regard d’eux. Lorsque finalement le morceau finit je soupirais en les voyant quitter la piste qui avait été leur brièvement. Détournant finalement le regard, je laissais échapper un soupir de soulagement en apercevant la silhouette d’Hadrian, seul, derrière un groupe de jeune. C’était un miracle qu’il ne soit pas entouré par ses amis, ou par une meute d’admiratrices, peut être venait-il juste d’arriver ? Sans trop réfléchir je me dirigeais vers lui, autant pour le saluer que pour confirmer mes doutes, était-ce bien lui qui m’avait transmit l’invitation? Pourquoi ? Autant de questions auxquelles il était le seul à pouvoir répondre. Alors que j’étais presque à son niveau j’ouvris la bouche pour le saluer et le monde explosa.

Je criais lorsqu’une masse dure me repoussa en arrière, m’écrasant contre le sol. Ma tête heurta brutalement la pierre et tout se perdit dans un mélange de furie et de hurlements. Les voix criaient, leur mélodie comme un chant de guerre. Je ne respirais plus. Et la terre hurlait, tellement fort. Un poids s’abattit sur moi, violemment, expulsant l’air de mes poumons. Je hurlais, mon corps prisonnier de cette masse solide. Je tentais de me débattre, remuant bras et jambes dans de larges mouvement, prête à tout pour me dégager. Un liquide rouge et chaud coulait le long de mon visage, dans mes yeux, dans ma bouche. Mes mains étaient poisseuses. Et je hurlais. Longtemps. Jusqu’à ce que l’épuisement, la peur ait raison de moi et qu’épuisée je cesse de gesticuler suffisamment longtemps pour identifier le poids qui me recouvrait, me protégeant inconsciemment. C’était chaud , ça saignait… Mon esprit se glaça lorsque j’identifiais ce qui ne pouvait être qu’un corps. Humain ou non. Un corps qui saignait. Sur moi. Me protégeant. Je gémis contre ce que je supposais être l’épaule. Mon corps contre le sien je sentais sa respiration, difficile, probablement douloureuse. Étrangement c’est cette respiration erratique qui m’aida à reprendre le contrôle. Je me calmais sa chaleur contre la mienne. Le corps ne bougeait pas. Il était probablement blessé, mourant peut être. Ne meurs pas je t’en prie.  Remuant doucement, pour ne pas empirer les dégâts, je parvins finalement à dégager un bras, puis une jambe. Faisant rouler doucement le corps sur le côté, je parvins à m’extraire entièrement avant de me tourner vers mon sauveur.

J’inspirais brutalement en voyant l’étendue des dégâts… Son visage était en sang, son corps semblait couvert d’égratignures, et un morceaux de verre, au moins aussi large que ma main était planté dans son flanc. Il devait souffrir le martyre, il souffrait le martyre, à cause de moi. Alors que j’examinais ses blessures, le jeune homme avait repris ses esprits et agrippé le bout de verre dans son flanc. Voir sa douleur, la crispation de son visage me fit, enfin, réagir. Sans réfléchir je posais ma main sur la sienne, détachement doucement ses doigts du bout de verre, lui parlant doucement. Tout irait bien. Je lui chuchotais les mots que Vaszjr m’avait transmit auparavant alors que j’étais au plus mal. Toute douleur peut se vaincre il suffit d’être assez fort pour s’en convaincre. J’étais là, je ne le quitterais pas. A la fin il ne restait plus que mes doigts sur le bout de verre. Tout mon corps tremblait. Je savais qu’il fallait que je retire le bout de verre de son corps avant qu’il ne se vide de son sang mais j’avais peur de ne faire plus de mal que de bien. Je n’avais même pas de quoi désinfecter la plaie, Vas m’avait un jour dit que l’alcool si il était suffisamment fort pouvait fonctionner mais je n’étais pas certaine de pouvoir me fier à ses conseils. Je n’étais même pas certaine de pouvoir me lever et marcher. Alors je restais près de lui, la main fermée contre le bout de verre, lui parlant doucement pour apaiser sa douleur. Avec ma seconde mains je saisis ma robe et essuyais comme je pouvais son visage, enlevant le plus de sang possible, feignant d’ignorer la plaie comme si ce n’était rien de grave. Je rencontrais alors une paire d’yeux bruns qui me fixait, je n’étais pas sûre de bien interpréter ce que je lisais dans son regard : Douleur ? Reconnaissance ? Peur ? Incrédulité ?  Je n’avais jamais été bon juge de caractère. Mais je pensais qu’il avait peur, à sa place j’aurais été terrorisée. Alors je restais près de lui et continuais à lui parler. « Les secours ne vont pas tarder, on va venir t’aider, je reste là, je ne bouge pas. Quelqu’un va venir… Je ne te laisse pas».