Un homme est solidement attaché à une chaise, du sang coule de sa bouche, tête baissée il observe ses pieds avec un regard vide. Il a mal, la douleur l’envahit, mais il n’a plus de force pour l’exprimer, ses forces sont progressivement en train de l’abandonner, bientôt toute volonté de vivre s’évaporera à son tour. La pièce est sombre, il n’y a qu’une lumière qui éclaire, je me tiens debout devant l’individu, avec douceur je place ma main sous son menton pour lui redresser la tête. Son visage est tuméfié, le nez est cassé, les arcades ouvertes, du sang coule depuis son cuir chevelu, ses lèvres sont fondues, et des dents sont absentes de leur emplacement. « Dernière chance. » Dis-je d’une voix plate et froide. Aucun bruit ne sort de sa bouche, l’individu reste silencieux, il ne veut pas vendre ses amis, qu’il en soit ainsi. Je retire ma main, sa tête tombe lourdement. Un demi-tour sur moi-même et mon regard croise le bourreau tapis dans l’ombre. « Il ne dira rien, par conséquent il est tout à toi, fais en ce que tu veux, mais au coucher du soleil je veux que la salle soit propre. » Sur ces derniers ordres, j’abandonne le sorcier à son triste sort, il n’a pas voulu nous donner des informations sur son groupuscule, fidèle même dans la douleur, pour au final sombrer dans les ténèbres de la mort dans quelques heures.

Dynamiquement je marche vers mon bureau, lieu paisible où il n'y a aucun hurlement, aucune plainte, aucune supplication, il n'y a que moi, des livres et une vue donnant sur la ville. Je ne croise personne dans les couloirs ou bien dans l'ascenseur, à croire que ma présence fait fuir les autres.
Confortablement installée sur ma chaise, j'observe une photographie de famille accrochée sur l'un de mes murs. Ce cliché a été pris bien des années auparavant, je suis jeune, une petite dizaine d'années, je suis entourée de mon frère ainé, de mes deux sœurs plus jeunes, de ma mère, de mes grands-parents, et de mon père. Ma mâchoire se contracte en pensant à mon géniteur, cet individu qui m'a forcé à tout plaquer pour entrer dans la Bridage Nocturne. Bien avant de devenir celle que je suis aujourd'hui, à savoir l'un de deux bras-droit de la division bourreaux, je n'étais qu'une simple psychologue. Parfois ma vie d'antan me manque, la cruauté dont je fais preuve maintenant me répugne et m'étonne à la fois, mais j'aime cela. J'en ai la certitude que si je ne portais pas le nom de De Bartolis, je ne serais pas devenue la femme que je suis, ma haine, ma soif de connaissances sur les limites des non-humains ont été forgées par celui que je suis censée appeler « père ». Je ferme quelques instants les paupières, et je me plais à imaginer le chef de ma famille à la place du sorcier de tout à l'heure, le monstre qui sommeille en moi désire profondément que mon géniteur soit un traitre, un danger pour notre société et qu'il tombe entre nos mains. Malheureusement ce rêve ne se réalisera jamais, la cupidité de mon père est telle qu'il pourrait vendre l'une de mes sœurs pour gagner en autorité dans le gouvernement actuel. Un arriviste de première, un lâche également.

Mes pensées axées sur ma famille sont interrompues quand quelqu’un vient de frapper à la porte. Je me tiens droite sur ma chaise et d’une voix claire, j’ordonne à la personne de pénétrer dans mon bureau.
La porte s’ouvre timidement, une silhouette frêle pénètre dans mon antre, et d’une voix timide m’annonce qu’il est mon nouvel assistant. Je penche légèrement la tête pour mieux observer l’individu se tenant devant moi. La nervosité le gagne, ses poings sont resserrés sur eux-mêmes, il n’ose pas me regarder droit dans les yeux, et sa posture est semblable à celle d’un chiot apeuré. « Es-tu humain ? » Le ton est sec, de sa réponse dépendra de son avenir à mes côtés. En balbutiant, il m’annonce que c’est un humain, un petit sourire s’affiche sur mon visage. « Dans ce cas, je te souhaite la bienvenu, maintenant mets-toi au travail immédiatement ! » De la gentillesse et de l’autorité, le parfait mélange pour montrer son autorité naturelle à ses subalternes. Le jeune homme quitte le bureau aussitôt me laissant de nouveau toute seule avec mes pensées et mes rêves.

Giorgio ne respire plus, il est mort. Le fils ainé des De Bartolis est allongé sur un lit, un drap rouge le couvre jusqu’au poitrail, son visage est livide, les os de sa face sont visibles, ses beaux cheveux bruns sont clairsemés, toutes les femmes de la famille pleurent autour du cadavre, maudissant les nephilims même si ce dernier est décédé de façon naturelle, il faut parfois un coupable bien qu'il n'y en ai pas. Je suis la seule à rester à l'écart de ce spectacle lamentable, aucune larme ne coule de mes yeux, la tristesse n'apparaît pas sur mon visage, il n’y a que de l’indifférence. Mon père, Giovanni De Bartolis arrive à ma hauteur, son regard est noir. « Pourquoi ne pleures-tu pas avec ta mère et tes sœurs, es-tu si monstrueuse que cela ma fille ? » Je ne détourne pas les yeux du spectacle qui se manifeste devant moi pour répondre à mon géniteur. « Il est mort avant de connaître la vieillesse, cela ne signifie qu’une chose, il n’était pas assez fort pour vivre davantage. Les faibles disparaissent, les forts eux restent, ainsi est la vie. » Sur ces paroles, je décide de quitter la pièce, mais en faisant volte-face je sens une étreinte sur mon bras droit. « Où vas-tu comme ça ! Tu quitteras cette pièce que lorsque je t’en aurais donné l’autorisation. » Cette fois-ci je porte mon attention sur mon père, nos regards se croisent pour se lancer dans un duel. « Que souhaites-tu père ? » Lui dis-je pour le défier davantage. « Tu es l’ainée maintenant à mon grand dam, ton frère devait intégrer la Brigade Nocturne à Rome, tu le remplaceras que cela te plaise ou non. Tu y feras graver le nom de De Bartolis en gravissant les échelons et tu rendras fier la famille en agissant de la sorte. Si tu refuses, je te renie ma fille et je ferais en sorte que ta vie devienne un véritable cauchemar. » Je ne dis rien, je ne fais que grimacer, car la pression de l’étreinte de mon paternel me fait mal. « Lâche-moi et laisse-moi quitter la pièce maintenant. » Mon ton avait monté. « Arrêtez-vous deux, même dans ces circonstances vous continuez votre querelle, je veux mon pleurer mon petit Giorgio dans le silence. » Le patriarche des De Bartolis abandonne sa prise, et me laisse quitter la pièce comme je le souhaitais. Je me retrouve dans le couloir, seule comme à mon habitude et je me dirige vers l’escalier principal de la villa pour sortir et prendre l’air.

Le téléphone sonne, une nouvelle fois encore je sors de mes pensées. Je décroche et ramène l’appareil près de mon oreille pour entendre mon interlocuteur. « Mademoiselle De Bartolis, division bourreaux, j’écoute… Je vois… Donnez-moi deux heures monsieur… Oui… Je comprends, mais… Oui, j’arrive tout de suite. » Je mets le téléphone sur sa base, je me lève de ma chaise et je quitte mon bureau, direction les étages les plus importants du bâtiment de la Brigade Nocturne pour y faire mon rapport sur le sorcier et la cabale dont il appartient.